Analyse : Trois des thématiques débattues par le 47e congrès mondial d’apiculture Apimondia d’Istanbul, 24-28 août 2022 : La protection des sous-espèces d’Apis mellifera ; Les abeilles et le réchauffement climatique; L’adultération du miel dans un marché globalisé dominé par la Chine.


Carte proportionnelle des pays producteurs de miel en 2007.


Parmi les nombreuses thématiques débattues par le 47e congrès mondial d’apiculture Apimondia à Istanbul, du 24 au 28 août (cf. le Programme du congrès, en bas de page) , nous en avons retenu trois :

– La protection et la revalorisation des sous-espèces d’Apis mellifera (I) ;

– Les conséquences du réchauffement climatique pour les abeilles (II) ;

– L’adultération du miel dans un marché globalisé dominé par la Chine (III).


(I) Apimondia 2022 : Protection et promotion des sous-espèces indigènes & des écotypes locaux (l’exemple de la Turquie).

L’intérêt porté lors des congrès Apimondia aux sous-espèces indigènes d’abeilles (native bees / yerli arılar) et aux écotypes locaux (local bees / arı ekotipleri ) n’est pas nouveau. Il s’inscrit pour l’essentiel dans une démarche de protection des sous-espèces et de promotion de leur réemploi. Une démarche volontariste qui n’est pas sans entrer en contradiction avec la tendance pluri-décennale à l’hybridation par l’introgression naturelle (par exemple lors de transhumances annuelles massives – ce qui est le cas en Turquie) ; mais surtout avec les pratiques anthropiques de sélection depuis la fin du XIXe s. de quelques souches dont les qualités avancées (moindre « agressivité » ; moindre tendance à l’essaimage ; meilleure reprise après l’hivernage ; production de miel plus importante, etc.) sont considérées comme supérieures à celles des espèces indigènes. La mondialisation du marché des reines d’abeilles autour de quelques sous-espèces (A.m.ligustica ; A.m.carnica ; A.m.Buckfast) est la preuve la plus spectaculaire de cette mondialisation de quelques sous-espèces à tendance hégémonique.


Les quatre lignées génétiques d’Apis mellifera (groupes A, M, C, O)

La grande diversité des sous-espèces et des écotypes d’abeilles en Turquie, et leur évolution.

La Turquie est un grand pays d’apiculture et d’apiculteurs et apicultrices – la production annuelle de miel, en hausse régulière, se situe actuellement aux environs de 100 000 tonnes annuelles, au 2e rang mondial derrière la Chine (1). Grâce à la diversité de ses paysages et de sa flore. Grâce aussi, et surtout à la diversité encore réelle de ses sous-espèces (ou « races », pour utiliser le vocable ancien) d’abeilles mellifères Apis mellifera. Elaborée initialement par le biologiste juif allemand et palestinien Friedrich Simon Bodenheimer dans son ouvrage fondateur de 1942 (2), puis précisée après de nombreux travaux intermédiaires par Friedrich Ruttner en 1988 (3), puis par des chercheurs turcs (4), la carte des abeilles en Turquie fait apparaître plusieurs sous-espèces régionales, comprenant elles-mêmes des écotypes (en cours de description et protection) adaptés à des environnements spécifiques :


La carte des sous-espèces de Turquie d’après F.Ruttner (1988, cf. note 3)


1) Apis mellifera anatoliaca (Anadolu Arısı) pour le plateau d’Anatolie centrale. Avec plusieurs variantes régionales :

–  dans la zone égéenne occidentale : Batı Ege Arısı, dont l’écotype des « abeilles de Muğla » qui produisent un miel de pin célèbre; ou l’écotype des  « abeilles de Gökçeada » (sur l’île d’Imbros, en mer Egée « Gökçeada Arısı »). Une des souches égéennes sélectionnées a été baptisée Efe Bal Arısı.

– l’écotype des  « abeilles de Yiğilca »  de la région de Düzce (sur la mer Noire occidentale: Yiğilca ekotipi) ;

2) Apis mellifera caucasica (KafkasArısı, « l’abeille caucasienne », qui comprend à la fois « l’abeille grise de montagne », et « l’abeille gris-jaune subcaucasienne » ) pour les régions du Pont (mer Noire) et du nord-est ; avec quelques traces de la variante Apis mellifera armeniaca (« l’abeille jaune subcaucasienne ») aux confins de l’Arménie.

3) Apis mellifera meda (Iran Arısı, « l’abeille iranienne ») , du golfe d’Adana au nord de la Syrie et à l’Iran ;

4) Apis mellifera syriaca (Suriye Arısı, « l’abeille palestinienne » devenue au XXe siècle « l’abeille syrienne ») aux confins syro-turcs. Pour en rester aux frontières nationales de la Turquie, elle est parfois qualifiée de Hatay Arısı « l’abeille du Hatay ». Son aire d’expansion sur la carte de Ruttner 1988 paraît un peu trop restrictive.

5) Apis mellifera cypria (Kıbrıs Arısı, « l’abeille chypriote ») – dans l’ensemble de l’île évidemment (on notera que le nord de l’île [RTCN / KKTC] enregistre une présence accrue d’A.m.anatoliaca liée à l’arrivée de colons turcs).

6) Apis mellifera carnica, ou macedonica (Trakya Arısı) en Thrace orientale.

Mais, comme sur toutes les cartes contemporaines de répartition des sous-espèces, le phénomène d’hybridation est occulté, tant il est difficile à mesurer.


Dans la continuité du congrès de 2017, plusieurs interventions scientifiques pendant le congrès d’Istanbul 2022 ont rendu compte soit d’analyses morphologiques et/ou génétiques régionales, soit d’initiatives d’ONG visant à protéger et promouvoir des sous-espèces régionales, ou des écotypes locaux. Ainsi, au sein de la fondation de protection de l’environnement TEMA (5), la protection par la fondation ANG (6) de l’abeille caucasienne (A.m.caucasica) dans son écotype des hautes vallées de Camili, dans la région d’Artvin (nord-est, à la frontière géorgienne). La démarche de protection s’inscrit toujours dans une volonté de conserver une diversité génétique menacée par les phénomènes d’hybridation ; et de valoriser des écotypes locaux adaptés depuis longtemps aux conditions environnementales existantes et en évolution – topographie, flore, climat. Cette démarche ne visant pas, il convient de le signaler, à éradiquer ou supplanter des hybrides adoptées depuis longtemps, mais qui ont parfois démontré leurs faiblesses face à certaines menaces, en particulier varroa.



On aura également noté pendant le congrès 2022 que, sur le continent américain comme en Asie, il y a une tendance émergente à la revalorisation d’espèces qui ont été historiquement supplantées par l’abeille mellifère européenne A.m.mellifera (en particulier parce que leur production de miel est très faible:

– deux espèces à rayon extérieur (souvent unique) : Apis florea (dont l’aire de répartition commence dès l’Iran – Péninsule Arabique – Corne de l’Afrique et s’étend jusqu’à l’Asie du sud ; quelques colonies viennent d’être recensées à proximité du port de Gênes, en Italie) et Apis cerana (en Asie du sud, du sud-est, et orientale ; plus l’Australie depuis une décennie comme espèce invasive) ;

– les espèces melipones sans dards (stingless bees), en particulier en Amérique centrale et du sud.


(II) Apimondia 2022 : Les conséquences du changement et du réchauffement climatiques pour les abeilles & l’apiculture

Le changement climatique anthropocène impacte la biodiversité, donc les abeilles, et donc l’apiculture. Cette thématique n’est pas, là non plus, nouvelle dans les débats d’Apimondia. Mais la montée en puissance des conséquences du changement climatique lui donne à chaque congrès une acuité accrue. La session a été ouverte par une longue intervention d’Etienne Bruneau (CARI, Belgique), qui s’est appuyé sur cartes, diagrammes et autres courbes pour souligner que le réchauffement, désormais incontestable, est nettement plus marqué dans l’hémisphère nord.



L’impact sur les abeilles comme individus et groupe eusocial (superorganisme)

On sait que les abeilles se sont adaptées depuis des millions d’années aux changements climatiques. Et ont su s’adapter à une élévation des températures. : leur extension de l’Afrique et du Moyen-Orient vers l’Europe occidentale s’est faite lors du recul de la dernière glaciation (environ -100000/-10000ans). Alors qu’elles en étaient pratiquement absentes jusqu’au XVIIIe siècle, elles se sont implantées en Scandinavie, et remontent actuellement peu à peu vers les confins nord de l’Europe…

Les abeilles font preuve d’une forte résilience sociale : en hiver, avec leur capacité de thermo-régulation ; en été  avec la division du travail dans le cycle de vie des abeilles estivales (DoL : division of labor). Mais cette résilience historique peut être remise en cause par l’accumulation et les synergies des problèmes : or, la globalisation de varroa destructor depuis 50 ans a été un facteur d’affaiblissement majeur. On relève ainsi :

. au niveau individuel, une moindre capacité de butinage (vitesse, distance, orientation)

. au niveau du groupe : si les abeilles savent résister au froid en hiver, elles ont nettement plus de difficulté à faire face à des étés très chauds. Leur cycle de vie estival tend à se réduire, et donc la taille et le ravitaillement de la colonie.

Les hivers moins froids favorisent le développement des maladies et des parasites (dont varroa) normalement affaiblis par le froid. Pour la faune comme pour les plantes, les pathogènes sont globalement favorisés par le réchauffement, ce qui risque d’entraîner une consommation accrue de pesticides et autres insecticides.


Un débat déjà largement abordé en 2017

Les conséquences du changement climatique pour les abeilles et l’apiculture.

Le changement climatique en cours entraîne des stress nouveaux pour les plantes et fleurs, ce qui impacte les ressources alimentaires des abeilles, et modifie les calendriers apicoles traditionnels :

– Plus de CO2 dans les plantes, donc moins de protéines nutritives dans les tissus cellulaires ;

– Les floraisons donc les récoltes sont plus précoces, mais sont suivies de famines estivales ou automnales pour les abeilles, faute de floraisons ultérieures ;

Multiplication des risques de gelées sur des floraisons plus précoces qu’à l’habitude ;

– Pour pallier les pénuries ou les risques de famine, les abeilles tendent à collecter des nectars et pollens jusque-là peu utilisés (ex. du lierre en 2021 en France) ;

– Du fait du stress hydrique, il y a moins de nectar disponible, et il est moins liquide. Du coup, la viscosité des miels augmente en proportion de la moindre disponibilité de liquides dans la ruche ;

Apis mellifera travaille plus difficilement quand la température atteint et dépasse 35°C. Or, les abeilles dépensent nettement plus d’énergie à refroidir la colonie qu’à se réchauffer en hiver…

– Il faut surveiller encore plus les colonies, et sans doute privilégier les colonies de taille moyenne et qui consomment modérément. Le calendrier apicole doit évoluer. Il faut protéger les ruches du soleil ; surveiller l’accès à l’eau des colonies.

Les statistiques peuvent être trompeuses. Car si la production de miel tend à augmenter dans l’hémisphère nord, c’est seulement la conséquence de l’augmentation du nombre de ruches. Alors que la production par ruche est en diminution structurelle pluri-annuelle.


L’exemple des menaces sur miel de pin de Muğla  (Turquie égéenne).


L’actualité le démontre ces dernières années, de la Californie au Pakistan, de la France à l’Australie : les intempéries extrêmes se multiplient, sécheresses, incendies (mégafeux) et inondations, tornades et typhons. Si l’on se focalise sur la Turquie, on peut prendre l’exemple de la région égéenne de Muğla  (7), au sud-ouest. Cette région produit plus de 90 % du miel de pin mondial, avec environ 6 000 familles d’apiculteurs et 1,250 million de ruches locales, plus 3,5 millions de ruches de transhumance en septembre-octobre-novembre.. Or, depuis 2019, se cumulent dans cette région longues sécheresses, pluies diluviennes, hivers doux puis gelées de printemps lors de la floraison. Et la région a été impactée en juillet-août 2021 par deux semaines d’incendies majeurs dans des zones déjà affectées par la sécheresse. « Heureusement », ces incendies ont eu lieu alors que les ruches de l’Egée étaient pour partie en transhumance en Anatolie orientale, et avant la grande transhumance d’automne des régions orientales vers l’Egée. Mais on estime que 9000 tonnes ont été perdues en 2021 sur une production habituelle de 15000 tonnes, qui tend à stagner, voire à diminuer, du fait de ces calamités… Il faudra de nombreuses années pour que la forêt d’avant incendie se reconstitue. Par ailleurs, du fait du réchauffement, des menaces sérieuses pèsent sur Marchalina hellenica, (Çam pamuklu biti / le pou du cotonnier du pin), une cochenille du pin rouge dont les abeilles lèchent l’exsudat sucré pour le transformer en miel de pin.


Les incendies dans les forêts de pin de Muğla, août 2021

Le réchauffement climatique plus spécifiquement dans la zone MENA

La région MENA (Moyen-Orient-Afrique du Nord), en partie déjà semi-aride ou aride, et largement en stress hydrique, est particulièrement affectée par le réchauffement climatique, l’extension de la sécheresse et la multiplication des inondations (les deux sont liées par le durcissement et l’imperméabilisation des sols qui, par ailleurs, se salinisent).

Là plus encore qu’ailleurs, il convient donc de récupérer les eaux pluviales par tous les moyens (haies, tranchées, scarification des sols) ; valoriser les eaux grises usées par recyclage et affectation à l’agriculture ; planter des arbres et plantes partout où cela est possible, adaptés à la sécheresse et au réchauffement (jujuba, safran, lavande…)

Concernant l’apiculture, il faut impérativement privilégier les souches locales, les écotypes locaux adaptés à des climats arides à la chaleur et à la sécheresse (A.m.syriaca, intermissa, sahariensis, jemenetica…). C’est l’objet du programme méditerranéen MEDIBEES). Or elles avaient souvent été abandonnées au profit de souches plus « productives » (A.m.ligustica, carnica), sous-espèces exogènes qui se révèlent inadaptées dans le contexte du réchauffement, et des sécheresses accrues.


Quelques sous-espèces adaptées aux zones arides de la zone MENA

(III) Apimondia 2022 : Le marché mondial du miel, ou l’adultération globalisée

Etienne Bruneau (CARI, Belgique) a introduit la session consacrée à l’adultération du miel. Le miel fait l’objet d’un commerce globalisé insuffisamment contrôlé. La Chine, premier producteur et exportateur mondial, en est l’acteur majeur et trouble, avec une adultération massive, et de nombreux complices dans le monde entier.


Les principaux flux commerciaux du miel en 2021

Avant la diffusion du sucre de canne à l’Epoque moderne, le miel a longtemps été le seul édulcorant, fourni par l’apiculture familiale et des commercialisations régionales. Il est entré dans les circuits du commerce international au siècle dernier. Les principales régions productrices ont longtemps été l’Europe occidentale (Allemagne), l’Europe centrale et orientale (Hongrie, Ukraine, Russie), puis les Etats-Unis. Les décennies récentes confirment la montée en puissance de l’Asie (Chine, Inde, Vietnam), de l’Amérique centrale et du sud (Mexique,  Argentine) et du Moyen-Orient (Turquie, Iran). Alors que la production stagne, ou n’augmente que faiblement en Occident, les courbes de croissance chez ces nouveaux producteurs répondent pour partie à l’augmentation de la demande intérieure, et à des politiques de soutien à la production et à l’exportation. Mais elles ne sont pas sans soulever de nombreuses questions.

La Chine est le premier producteur mondial (20%), loin devant la Turquie et les Etats-Unis. Sur le marché mondial du miel, les trois premiers exportateurs sont la Chine (20%), l’Argentine et le Mexique ; les trois premiers importateurs sont l’Union européenne (et le Royaume Uni), les Etats-Unis et le Japon. La montée en puissance spectaculaire de la Chine pose question. L’apiculture chinoise est très mal connue : la croissance de la production de miel semble paradoxalement nettement supérieure à celle du nombre de ruches. La qualité des « miels » exportés est donc régulièrement interrogée, car elle présente une multiplicité d’anomalies criantes. A l’échelle internationale, les débats sur ce dossier sont toutefois rendus délicats par la présence croissante de Pékin dans des organisations comme la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, dont la Chine assume la direction générale). C’est ainsi seulement en 2019 que la Fédération internationale des associations d’apiculteurs (Apimondia, créée en 1897) a publié une première Déclaration contre la fraude des miels, alors que la question traverse ses congrès depuis longtemps .


Une carte proportionnelle des pays producteurs de miel en 2007, toujours valable en 2022

D’après les statistiques 2021 du commerce mondial, environ 765 000 tonnes de miel ont été commercialisées dans le monde pour une valeur de 2,75 milliards US$ ; et environ 130 000t de miel exportées par la Chine pour une valeur de 230M US$. L’analyse des tendances pluri-annuelles montre que la commercialisation de  miel  par certains pays est dans une courbe de croissance très largement supérieure à la croissance connue et crédible de la production. Ce qui indique qu’il y a de plus en plus de miels adultérés.

Les possibilités et modalités d’adultération sont multiples et peuvent être cumulées :



– par les conditions de production : extraction de sirops non operculés, et donc à l’hygrométrie trop élevée (supérieure au pourcentage réglementaire de 18 %) ;

– par des ajouts (de sirops, de colorants, d’additifs de goût , etc.…) ;

– par des contrefaçons totales (sirops de glucose de riz et de maïs sans trace de miel)(8) ;

– par des suppressions de pollens (par filtration ou ultrafiltration) ;

– par des intrants (agrochimie, antibiotiques ; certains miels musulmans recommandés pour la vitalité masculine se sont révélés contenir du viagra ou équivalents) ;

– par de fausses appellations (très fréquemment sur l’origine géographique ; ou sur la composition supposée des fleurs butinées) ;

Comment repérer les anomalies économiques dans le commerce mondial du miel ?

– Sur le marché du miel, les prix à l’export fluctuent en principe en fonction de la production et de ses coûts (mesurables au prix sur le marché local) ; des stocks ; des évolutions monétaires et économiques nationales et internationales, etc. Des prix stables ou en baisse régulière sur le long terme sont anormaux. Or, les prix chinois à l’exportation sont stables voire déclinent, alors que le yuan se valorise.

– Alors qu’ils devraient être globalement comparables, les prix à la vente des miels chinois varient énormément selon le pays de destination (alors que le volume des importations est comparable, les prix chinois sont très élevés pour le Japon ; mais peu élevés pour le Royaume-Uni, qui s’approvisionne presque exclusivement en Chine). Ces prix ne sont donc pas fixés par le marché, mais par des décisions étatiques en fonction des objectifs commerciaux bilatéraux définis à Pékin.

– Le miel suit parfois des circuits complexes par la présence de pays de transit. Certains pays gros producteurs importent beaucoup de miel chinois, et exportent vers un pays de l’UE. L’Ukraine [avant la guerre de 2022] est un pays gros producteur de miel ; gros importateur de miel de Chine via le port d’Odessa ; très gros exportateur vers la Hongrie, pays membre de l’UE. Le cas de figure, bien que sans doute moins important, se retrouve en Roumanie, via le port de Constanța.

– Certains pays produisent peu, voire très peu, mais exportent beaucoup, et de plus en plus : c’est le cas du Vietnam, qui est donc largement un pays de transit.

– Dans certains pays, alors qu’il n’y a pas d’augmentation de la production, et pas d’augmentation des importations, les volumes exportés augmentent, et les prix à l’export diminuent parfois. Il y a dissimulation : c’est clairement le cas de l’Ukraine.

– Certains pays petits producteurs importent beaucoup, et réexportent beaucoup : le Portugal importe du miel de Chine, et réexporte vers l’Espagne qui, elle-même gros producteur, exporte son miel et réexporte du miel « portugais ». Il y a donc des miels « de transit » dont le suivi est parfois difficile. La multiplication des acteurs et intermédiaires participe de cette opacité.

La lutte contre l’adultération des miels repose sur un certain nombre de principes et de pratiques :

– Il faut arriver à une définition régionale et internationale du miel (Honey Identity Standard): soit une denrée alimentaire naturelle, produite exclusivement par des abeilles mellifères, sans additifs ni transformations. Or, la législation européenne est particulièrement timorée en matière de réglementation et répression sur le miel et son adultération.

– Il faut analyser soigneusement les courbes de croissance de production et de commercialisation des miels, et pas seulement les statistiques annuelles déclarées, pour déceler des ruptures et des anomalies tendancielles ;

– Il faut une véritable maîtrise de la chaîne de valeur : historique et géopolitique des producteurs, des exportateurs, des importateurs, des grossistes, des distributeurs ; indices économiques pluri-annuels, historique des fraudes ; tests fréquents et aléatoires tout au long du processus….

– Il apparaît que les fraudeurs ont toujours une longueur d’avance sur les moyens d’analyse : par ex. en utilisant des membranes d’ultra-filtration (les mêmes que pour la désalinisation de l’eau de mer) qui suppriment tous les pollens et autres substances organiques et minérales, et rendent le traçage des origines géographiques et palynologiques impossible.



NOTES

1 A titre de comparaison, la production annuelle française, en déclin tendanciel prononcé, oscille entre 10 et 20 000 tonnes (mais 7500 t seulement en 2021).

2 BODENHEIMER Friedrich Simon (1897-1959) «Türkiye’de Bal Arısı ve Arıcılık Hakkında Etüdler – Studies on the Honey Bee and Beekeeping in Turkey [Etudes sur les abeilles mellifères et l’apiculture en Turquie», Istanbul, Numune Matbaasi, 1942, 119p.

3 RUTTNER Friedrich , « Biogeography and Taxonomy of Honeybees », Springer Verlag, Berlin, Heidelberg, New York, London, Paris, Tokyo, 1988, 284p.

4 KANDEMIR Irfan, KENCE Meral, KENCE Avkut [2000], « Genetic and morphometric variation in honeybee (Apis mellifera L.) populations of Turkey », Apidologie no 31, 2000, p.343–356. & : BODUR Çaǧri, KENCE Meral, KENCE Avkut [2007] « Genetic structure of honeybee, Apis mellifera L. (Hymenoptera: Apidae) populations of Turkey inferred from microsatellite analysis », Journal of Apicultural Research no 46, 2007, p.50–56. https://www.academia.edu/7091061/Bodur_Kence_Kence-2007jar

5 TEMA, Türkiye Erozyonla Mücadele, Ağaçlandırma ve Doğal Varlıkları Koruma Vakfı / Fondation turque pour la lutte contre l’érosion, le reboisement et la conservation des actifs naturels

6 Ali Nihat Gökyiğit Vakfı (cf. la biographie du fondateur et mécène, né à Artvin, aux confins de la Géorgie, en 1925 : https://angyatirim.com.tr/ & : https://www.biyografya.com/biyografi/14216 )

7 «Muğla.  Wildfires deal blow to world-famous pine honey production », hurriyetdailynews.com, 10/8/2021. En ligne : https://www.hurriyetdailynews.com/amp/wildfires-deal-blow-to-world-famous-pine-honey-production-166876

8 Lors de la session Apimondia sur les miels a été évoqué le cas d’une start up israélienne (Bee-i-O), qui a lancé une campagne marketing début 2022 avec comme slogan : « Enfin du miel sans abeilles ! » [https://israelvalley.com/2022/08/03/miel-sans-abeilles-bee-io-implementee-dans-le-science-park-de-rehovot/ & https://www.youtube.com/watch?v=e6uC8pEQKag ]. Les inventeurs israéliens prétendent ainsi vouloir sauver les abeilles…