
Carte proportionnelle des pays producteurs de miel en 2007.
« L’adultération du miel dans un marché globalisé dominé par la Chine » a été l’une des nombreuses thématiques débattues par le 47e congrès mondial d’apiculture Apimondia à Istanbul, du 24 au 28 août 2022.
Etienne Bruneau (CARI, Belgique) a introduit la session consacrée à l’adultération du miel. Le miel fait l’objet d’un commerce globalisé insuffisamment contrôlé. La Chine, premier producteur et exportateur mondial, en est l’acteur majeur et trouble, avec une adultération massive, et de nombreux complices dans le monde entier.

Avant la diffusion du sucre de canne à l’Epoque moderne, le miel a longtemps été le seul édulcorant, fourni par l’apiculture familiale et des commercialisations régionales. Il est entré dans les circuits du commerce international au siècle dernier. Les principales régions productrices ont longtemps été l’Europe occidentale (Allemagne), l’Europe centrale et orientale (Hongrie, Ukraine, Russie), puis les Etats-Unis. Les décennies récentes confirment la montée en puissance de l’Asie (Chine, Inde, Vietnam), de l’Amérique centrale et du sud (Mexique, Argentine) et du Moyen-Orient (Turquie, Iran). Alors que la production stagne, ou n’augmente que faiblement en Occident, les courbes de croissance chez ces nouveaux producteurs répondent pour partie à l’augmentation de la demande intérieure, et à des politiques de soutien à la production et à l’exportation. Mais elles ne sont pas sans soulever de nombreuses questions.
La Chine est le premier producteur mondial (20%), loin devant la Turquie et les Etats-Unis. Sur le marché mondial du miel, les trois premiers exportateurs sont la Chine (20%), l’Argentine et le Mexique ; les trois premiers importateurs sont l’Union européenne (et le Royaume Uni), les Etats-Unis et le Japon. La montée en puissance spectaculaire de la Chine pose question. L’apiculture chinoise est très mal connue : la croissance de la production de miel semble paradoxalement nettement supérieure à celle du nombre de ruches. La qualité des « miels » exportés est donc régulièrement interrogée, car elle présente une multiplicité d’anomalies criantes. A l’échelle internationale, les débats sur ce dossier sont toutefois rendus délicats par la présence croissante de Pékin dans des organisations comme la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, dont la Chine assume la direction générale). C’est ainsi seulement en 2019 que la Fédération internationale des associations d’apiculteurs (Apimondia, créée en 1897) a publié une première Déclaration contre la fraude des miels, alors que la question traverse ses congrès depuis longtemps .

D’après les statistiques 2021 du commerce mondial, environ 765 000 tonnes de miel ont été commercialisées dans le monde pour une valeur de 2,75 milliards US$ ; et environ 130 000t de miel exportées par la Chine pour une valeur de 230M US$. L’analyse des tendances pluri-annuelles montre que la commercialisation de miel par certains pays est dans une courbe de croissance très largement supérieure à la croissance connue et crédible de la production. Ce qui indique qu’il y a de plus en plus de miels adultérés.
Les possibilités et modalités d’adultération sont multiples et peuvent être cumulées :

– par les conditions de production : extraction de sirops non operculés, et donc à l’hygrométrie trop élevée (supérieure au pourcentage réglementaire de 18 %) ;
– par des ajouts (de sirops, de colorants, d’additifs de goût , etc.…) ;
– par des contrefaçons totales (sirops de glucose de riz et de maïs sans trace de miel)(8) ;
– par des suppressions de pollens (par filtration ou ultrafiltration) ;
– par des intrants (agrochimie, antibiotiques ; certains miels musulmans recommandés pour la vitalité masculine se sont révélés contenir du viagra ou équivalents) ;
– par de fausses appellations (très fréquemment sur l’origine géographique ; ou sur la composition supposée des fleurs butinées) ;
Comment repérer les anomalies économiques dans le commerce mondial du miel ?
– Sur le marché du miel, les prix à l’export fluctuent en principe en fonction de la production et de ses coûts (mesurables au prix sur le marché local) ; des stocks ; des évolutions monétaires et économiques nationales et internationales, etc. Des prix stables ou en baisse régulière sur le long terme sont anormaux. Or, les prix chinois à l’exportation sont stables voire déclinent, alors que le yuan se valorise.
– Alors qu’ils devraient être globalement comparables, les prix à la vente des miels chinois varient énormément selon le pays de destination (alors que le volume des importations est comparable, les prix chinois sont très élevés pour le Japon ; mais peu élevés pour le Royaume-Uni, qui s’approvisionne presque exclusivement en Chine). Ces prix ne sont donc pas fixés par le marché, mais par des décisions étatiques en fonction des objectifs commerciaux bilatéraux définis à Pékin.
– Le miel suit parfois des circuits complexes par la présence de pays de transit. Certains pays gros producteurs importent beaucoup de miel chinois, et exportent vers un pays de l’UE. L’Ukraine [avant la guerre de 2022] est un pays gros producteur de miel ; gros importateur de miel de Chine via le port d’Odessa ; très gros exportateur vers la Hongrie, pays membre de l’UE. Le cas de figure, bien que sans doute moins important, se retrouve en Roumanie, via le port de Constanța.
– Certains pays produisent peu, voire très peu, mais exportent beaucoup, et de plus en plus : c’est le cas du Vietnam, qui est donc largement un pays de transit.
– Dans certains pays, alors qu’il n’y a pas d’augmentation de la production, et pas d’augmentation des importations, les volumes exportés augmentent, et les prix à l’export diminuent parfois. Il y a dissimulation : c’est clairement le cas de l’Ukraine.
– Certains pays petits producteurs importent beaucoup, et réexportent beaucoup : le Portugal importe du miel de Chine, et réexporte vers l’Espagne qui, elle-même gros producteur, exporte son miel et réexporte du miel « portugais ». Il y a donc des miels « de transit » dont le suivi est parfois difficile. La multiplication des acteurs et intermédiaires participe de cette opacité.
La lutte contre l’adultération des miels repose sur un certain nombre de principes et de pratiques :
– Il faut arriver à une définition régionale et internationale du miel (Honey Identity Standard): soit une denrée alimentaire naturelle, produite exclusivement par des abeilles mellifères, sans additifs ni transformations. Or, la législation européenne est particulièrement timorée en matière de réglementation et répression sur le miel et son adultération.
– Il faut analyser soigneusement les courbes de croissance de production et de commercialisation des miels, et pas seulement les statistiques annuelles déclarées, pour déceler des ruptures et des anomalies tendancielles ;
– Il faut une véritable maîtrise de la chaîne de valeur : historique et géopolitique des producteurs, des exportateurs, des importateurs, des grossistes, des distributeurs ; indices économiques pluri-annuels, historique des fraudes ; tests fréquents et aléatoires tout au long du processus….
– Il apparaît que les fraudeurs ont toujours une longueur d’avance sur les moyens d’analyse : par ex. en utilisant des membranes d’ultra-filtration (les mêmes que pour la désalinisation de l’eau de mer) qui suppriment tous les pollens et autres substances organiques et minérales, et rendent le traçage des origines géographiques et palynologiques impossible.
