Compte-rendu de lecture – Sara George  [2002/2018], The Bee-keeper’s Pupil / L’Apiculteur et son élève. Le fascinant destin d’un savant genevois aveugle et de son habile assistant vaudois : Le journal fictif de François Burnens, l’assistant du célèbre apiculteur François Huber à la fin du Siècle des Lumières.



REFERENCE

GEORGE Sara [2002], The Bee-keeper’s Pupil, Ed. Headline Book Publishing, 2002, 320p. Tr.fr.: L’Apiculteur et son élève. Le fascinant destin d’un savant genevois aveugle et de son habile assistant vaudois, Genève, Slatkine, 2018, 344p. (Préfaces de Francis Saucy et Thierry Deonna ; comprend un cahier de photographies sur Huber et Burnens)


S’appuyant largement sur les célèbres Nouvelles observations sur les abeilles publiées en deux tomes par le Genevois François Huber (et son fils Pierre) en 1814, la romancière britannique Sara George présente ici en plus de 300 pages une passionnante biographie de l’apiculteur aveugle Huber (1750-1831). Sous une forme originale : celle du journal qu’aurait tenu François Burnens (1760-1837) le domestique et assistant de François Huber de 1780 (année vraisemblable de son embauche par le ménage Huber-Lullin) à 1795 (date de son départ pour cause de mariage, mais aussi sans doute à cause des difficultés financières de son maître). Cette forme permet à Sara George et de traiter de toutes les expériences que Burnens a effectué à la demande de et en présence de son employeur ; et d’aborder ce couple scientifique hors norme qui a travaillé pendant quinze ans. Burnens a été tout au long de sa présence chez Huber beaucoup plus qu’un « domestique » d’origine paysanne : il a été un véritable « ingénieur d’études » aux côtés d’un maître aveugle, dont il a été « les mains et les yeux ».

Un roman historique 

Le choix littéraire du roman historique présente les qualités et les inconvénients du genre – qui offre évidemment toute latitude d’écriture à l’auteure.

Les sources de l’auteure sont d’autant plus solides qu’elles reposent sur les deux tomes de 1814, forts de plus de 800 pages et qui détaillent très précisément les expériences, hypothèses et conclusions du tandem Huber-Burnens. Le lecteur trouvera donc dans The Bee-keeper’s Pupil un accès documenté et facile à leurs travaux. Il permet de resituer ceux-ci dans l’ambiance de la recherche scientifique genevoise et européenne de la fin du Siècle des Lumières.

Le genre romanesque autorise l’auteure à choisir la forme d’un journal qui est fictive, puisque Burnens n’a pas tenu une telle chronique. L’ouvrage est un bel hommage aux deux hommes, et en particulier à Burnens qui, vu son statut social, apparaît nettement moins chez les biographes que son employeur Huber. La fiction romanesque n’est évidemment cependant pas sans incidences sur certains volets. L’historien que nous sommes repère assez rapidement un certain flou chronologique par rapport à ce que l’on sait du déroulé des relations Huber-Burnens et de leurs expériences avec les abeilles. George prête à Burnens des origines sociales très modestes, assez misérabilistes, ce que des recherches historiques récentes (celles de Francis Saucy, par exemple) amènent à nuancer[1].  D’autre part, l’auteure – et c’est son droit d’écriture le plus strict – prête à Burnens des pensées et des sentiments que l’on ne peut étayer. En particulier, elle sous-entend l’existence d’une relation sentimentale entre le domestique Burnens et “mademoiselle Jurine” une secretaire de Huber; voire des sentiments envers sa maîtresse Marie-Aîmée Lullin, qui pourraient avoir été à l’origine du départ de Burnens en 1795. Alors que des raisons financières (ruine de Huber) et personnelles (projet de mariage de Burnens) sont nettement plus vraisemblables.

Au total, une lecture très agréable, un texte empathique et humaniste, qui complète utilement ce que l’on sait par ailleurs de la biographie de la famille Huber et des relations Huber-Burnens. Et ouvre sur la culture scientifique de l’époque.


Tableau de synthèse dans le dossier photographique de l’ouvrage


NOTE

[1] SAUCY Francis [2014],  François Huber (1750-1831) Savant aveugle à l’âge des Lumières,  Chronique en 10 épisodes à l’occasion du bicentenaire de la publication de l’édition complète des « Nouvelles observations sur les abeilles » en 1814, Revue Suisse d’Apiculture, janvier-décembre 2014. URL : https://www.abeilles.ch/fileadmin/user_upload_romandie/SAR-Docs/Chronique-Francois-Huber.pdf  & :  https://www.researchgate.net/publication/269408239_Francois_Huber_1750-1831_Savant_aveugle