« Le Roi des abeilles »: Confusion des sexes dans la ruche et genre du pouvoir politique en Europe à l’Epoque moderne (XVIe-XVIIIe s.). Texte publié par l’Université de Marmara, Istanbul, 2010


RESUME:

Jusqu’au Siècle des Lumières, l’exercice du pouvoir est lié au sexe masculin. Ce modèle humain est projeté sur la ruche des abeilles, souvent comparée à la société des hommes. Il est donc convenu que la ruche est gouvernée par un roi, entouré de mâles armés de leur dard. Or, les progrès de la connaissance scientifique inversent complètement les représentations: le « roi des abeilles » se révèle être une reine; les « nobles mâles » sont des abeilles femelles portant un dard; et les mâles, sans dard, sont improductifs et gloutons ! La pensée politique (et le philosophe Voltaire encore à la fin du XVIIIe siècle) peine dès lors à admettre que la ruche est une « monarchie féminine »: « Car il n’est pas bon que les hommes obéissent, et que les femmes commandent… »



La ruche monarchique, gravure dans Moses RUSDEN, A further discovery of bees…, Londres, 1679

 

Le « Roi des Abeilles ». Confusion des sexes dans la ruche et genre du pouvoir politique en Europe à l’Epoque moderne (XVIe-XVIIIe siècles). Texte présenté en 2009 au Département francophone de sciences politiques et administratives (DFSPA) de l’Université de Marmara à Istanbul, et publié dans:  TURHAN Ali Vahit et alii (dir.), Tarabya çalişmalarï. 20.yïl armağan kitap) [Les études de Tarabya. Le livre-anniversaire des 20 ans], Istanbul, Marmara Universitesi Yayïnlarï, 2010, 432p., p.59-74

« I know not which live more unnaturally lives / A cocke that’s silent, and an hen that crowes / Obeying husbands, or commanding wives. »

« Je ne sais pas ce qui est le moins naturel / Un coq silencieux, ou une poule qui chante / Que les hommes obéissent, ou que les femmes commandent.» 

                                                 Richard REMNANT,   A discourse or historie of bees, 1637 [1]

La « République des abeilles » comme métaphore et modèle

Les insectes sociaux et sauvages que sont les abeilles ont fait l’objet d’une littérature immense depuis l’Antiquité, liée certes à l’intérêt économique de leurs productions (la cire surtout, et le miel) et aux particularités de leur « bon gouvernement » [2], mais aussi au fonctionnement, resté longtemps mystérieux, de la ruche [3]. Les auteurs grecs et romains, qui mentionnent longuement l’abeille et l’apiculture, gardent une grande influence jusqu’au XVIIe siècle inclus, à la fois dans le champ de la (mé)connaissance des abeilles et de leur élevage; mais aussi dans le domaine des représentations de la ruche. Car celle-ci a servi, jusqu’au XIXe siècle, de métaphore anthropomorphique pour l’organisation et le fonctionnement de la société humaine: au contraire d’Aristote, qui les pense « créatures politiques », Hobbes fait donc exception dans son Léviathan (1651), qui pense impossible de tirer des abeilles une analogie pour les sociétés humaines [4]. Entre le XVIe et le XVIIIe siècle, de nombreux essais philosophiques ou pratiques qui traitent des abeilles -les deux dimensions sont fréquemment associées-, permettent une lecture historique de cette métaphore [5].

Nous nous intéressons donc ici à qui concerne le politique, dans une perspective d’histoire des idées et des représentations politiques. Et moins sur la forme monarchique du pouvoir, qui n’est contestée par aucun auteur, que sur le genre du pouvoir. A la Renaissance et jusqu’au Siècle des Lumières (XVIIIe s.), l’idée que l’exercice du pouvoir, mise en oeuvre de l’ordre naturel et divin du monde, est lié au sexe masculin, fait très largement consensus, et repose d’ailleurs sur un large constat de fait [6]. Il est donc logique que ce modèle politique humain soit projeté sur la ruche des abeilles, si souvent comparée à la société des hommes, et réciproquement: la ruche, « république des abeilles », étant constamment érigée en modèle pour la société humaine [7].

Or, les découvertes scientifiques, permises en particulier par la mise au point du microscope, et  qui donnent naissance à la science entomologique, viennent saper et l’évidence, et le consensus. Elles ouvrent un débat d’un siècle et demi sur le mode de reproduction des abeilles, qui est, en réalité, largement un débat sur le genre du pouvoir. Au plan épistémologique contemporain, ce débat n’a été étudié ces deux dernières décennies que par quelques auteur(e)s anglo-américain(e)s, en général scientifiques entomologistes, ou philosophes des sciences, appliquant la grille de lecture du genre. En revanche, il est, à notre connaissance, absent des littératures française, espagnole, italienne et allemande [8]. Nous nous sommes donc appuyé sur les pistes ouvertes par les Anglo-américains pour relire et comparer une vingtaine d’ouvrages d’apiculture français et anglais du XVIe au XVIIIe siècle -ces derniers étant particulièrement prolixes pour notre propos.  On l’aura compris, la réflexion ici développée s’inscrit à un carrefour pluri-disciplinaire: l’histoire des idées politiques; l’histoire des sciences et de la diffusion de la pensée scientifique; et surtout l’histoire du genre.


Encadré: les trois castes d’abeilles

 On sait scientifiquement depuis la fin du XVIe siècle (ce qui ne préjuge pas des obstacles et résistances à cette connaissance et à sa diffusion), que les colonies d’abeilles (Apis mellifera mellifera) sont organisées en trois castes.

  • Une seule femelle sexuée et fécondée, l’abeille-mère ou « reine », est l’unique reproductrice de la ruche. Fécondée lors de son vol nuptial par plusieurs mâles, elle passe ensuite ses trois ou quatre ans de vie à pondre de quelques centaines jusqu’à 2000 œufs par jour, jusqu’à épuisement de sa poche spermatique. De forte corpulence, elle assure la cohésion de la ruche en émettant différentes phéromones qui imprègnent l’ensemble de la colonie. Elle est donc la « mère » de toutes les abeilles de la ruche, et une ruche sans reine meurt. Quand elle devient stérile, ou quand elle quitte la ruche à la tête d’un essaim, quelques larves nourries à la gelée royale donnent naissance à de jeunes reines vierges. La première-née d’entre elles liquide ses sœurs, effectue son vol nuptial, est fécondée et rentre à la ruche pour commencer à pondre.
  • La seconde caste, très minoritaire (2-3000 par ruche), est celle des mâles, ou faux-bourdons, nés d’œufs non fécondés. La fonction unique des mâles, sensiblement plus corpulents que les abeilles, non dotés de dards, est l’accouplement avec une reine vierge lors de son vol nuptial (ils en meurent d’ailleurs, par arrachement de leurs organes sexuels). Ils ne « travaillent » pas au-delà d’un peu de ventilation de la ruche, mais mangent abondamment. Ils sont tous éliminés à la fin de l’été par les abeilles, car désormais considérés comme prédateurs des réserves de nourriture pour l’hiver.
  • Le troisième groupe, le plus nombreux, est celui des « ouvrières », les abeilles: 20 à 50000 « femelles stériles », nées d’oeufs fécondés, et aux organes reproducteurs bloqués par les phéromones de la reine.  Les ouvrières sont « armées » d’un dard leur permettant d’injecter du venin. Dans leur cycle de vie (de 3 semaines à 6 mois), elles assurent la totalité des tâches de la ruche: elles sont successivement nettoyeuses, nourricières du couvain, cirières construisant les cellules, transformatrices du nectar en miel, gardiennes, ventileuses, et enfin butineuses. Une abeille ne peut pas survivre sans être au sein du « corps collectif » qu’est la ruche.

1/ La ruche anthropomorphique, son Roi, ses ducs, son peuple: une société monarchique idéale

Les auteurs classiques de l’Antiquité (en particulier Aristote et Virgile), repris au Moyen-Age, postulent le caractère masculin du pouvoir dans la ruche, mais aussi des activités qui s’y déroulent [9]. Ils sont encore systématiquement cités à l’Epoque moderne. Les ouvrages reproduisent donc régulièrement connaissances opératoires et superstitions, observations empiriques et erreurs persistantes: ainsi en va-t-il de la génération spontanée des abeilles dans une carcasse de boeuf putréfiée (le mythe d’Aristée), ou du sexe masculin des abeilles. Mais l’absence de connaissance scientifique n’explique pas tout en la matière. La persistance de certaines « erreurs » antiques s’explique aussi parce qu’au-delà de sa dimension proprement productive, la ruche des abeilles est une puissante métaphore sociale et politique. La ruche est une monarchie idéale, gouvernement naturel d’une structure sociale fortement hiérarchisée. L’abeille-mère est systématiquement qualifiée de « Roi des abeilles » -au masculin et avec une majuscule: « el Rey de la colmena », « the King-Bee », « der Bienen König », « De Koning van de bijen ». Omnipotent, il exerce son autorité avec fermeté et bienveillance: « La ruche de mouches à miel est un vrai modèle d’une République bien policée, où chacune Abeille  & toutes en général (…) obéissent à un Roi, lequel par toutes les Abeilles est suivi » écrit ainsi en 1600 le protestant Olivier de Serres, dans son célèbreThéâtre d’Agriculture et Mesnage des champs [10]. Ce roi est entouré de nobles (mâles), armés de leurs épées (les dards), et qui forment sa cour. Tous les autres habitants de la ruche, mâles et femelles composent le peuple, et lui sont soumis. L’ordre social et la stabilité de cette « République » l’emportent sur l’individu, lequel n’existe que comme rouage d’une communauté organique [11]. La ruche des abeilles est ainsi parfaitement adaptée à l’idéologie de l’Etat moderne qui apparaît à la Renaissance.

Les traités d’économie rurale et agricole, très répandus en France et en Europe occidentale aux XVIe et XVIIe siècles, reproduisent sans plus ample commentaire une célèbre formule de Virgile, tel Charles Estienne dans L’Agriculture et Maison rustique, édité en 1564, immédiatement traduit dans une demi-douzaine de langues, et véritable bible, reprise par Liger en 1700, et encore imprimée à la fin du XVIIIe siècle: « Elles ont un Roi,  auquel elles obéissent en tout, & exécutent tout ce qui leur est ordonné. » [12] Les ouvrages anglais, plus spécialisés, sont plus détaillés.S ‘inspirant d’une encyclopédie d’agriculture éditée quelques années auparavant à Bâle (Suisse), Thomas Hill publie en 1568 ce qu’on peut considérer comme le premier manuel d’apiculture anglais [13]: le Plaisant traité pour le parfait commandement des abeilles. On sait que l’abeille-mère ne pique pas. Hill l’explique donc par la grandeur du roi: « Chez les Abeilles, le Roi règnant ne porte pas le dard [l’épée]: il sera ainsi le dernier à blesser et à tirer vengeance. Ce Roi rend ainsi hommage et honneur aux Abeilles, de telle sorte que chacune d’entre elle lui obéit, et est toujours prête à faire ce qu’il lui intime de faire. » [14] . Même admiration dans plusieurs et anonymes « Traité des mouches à miel » français contemporains,  ou dans Les Abeilles et leur Etat royal du Parisien Pierre Constant (1582); dans les conseils de Bonne économie [husbandry] des Abeilles de William Lawson, en 1618 [15].  Un manuscrit inédit et en latin du naturaliste suisse Konrad Gessner datant de 1565 (Insectorum Theatrum…), est finalement traduit en anglais par Edward Topsell en 1658, sous le titre  Le théâtre des insectes . Le chapitre consacré aux abeilles y exalte le roi: « Celui qui est élu monarque César, et capitaine général de tout l’essaim, est toujours de grande et remarquable taille, de stature héroïque, deux fois plus grand que tous les autres, avec des ailes plus courtes, des jambes bien droites, musclées et solides ;  son pas et sa démarche sont de grande noblesse, et majestueuses, d’une allure vénérable ; sur son front, il y a une manière de marque rouge en forme de diadème, car il est fort distinct du peuple et du commun par sa grâce, sa beauté et par l’honneur qu’il incarne. » [16]

Dans le contexte politique anglais de l’époque, on remarquera que le modèle monarchique ici proposé, et découlant de « l’ordre divin », est une monarchie tempérée: « Les abeilles sont sous le gouvernement de la Monarchie (…), accueillant et intronisant leur Roi après consultation, appréciation raisonnée, et un choix prudent ; (…) elles gardent cependant leurs anciennes libertés et privilèges acquis (…) et leur Roi étant étroitement lié à elles par un serment, elles lui portent amour et respect. Ce sont là les lois de la Nature, qui ne sont pas écrites, mais sont imprimées et gravées dans la condition et les manières des abeilles. Comme le Tout-Puissant a créé toutes choses pour l’usage des hommes, il a tout particulièrement créé les abeilles, non seulement pour qu’elles nous soient un modèle des vertus politiques et économiques, mais aussi pour qu’elles soient des maîtres d’école et des professeurs nous instruisant de la connaissance divine ; et que, extraordinaire prophètes, elles nous annoncent le cours des choses et la succession des événements à venir. » [17]

Le frontispice du traité de Moses Rusden en 1679 montre « le Roi-Abeille (King-Bee) » portant couronne [18]. Dans l’ouvrage, une planche illustre la hiérarchie dans la ruche: le Roi (couronné), les Ducs, le peuple (plebs), et les bourdons (fuci, qui     jouent le rôle de gardes du roi).[19]  Appartenant à l’évidence au parti royaliste, Rusden, « Maître des Abeilles [Master-Bee] du Roi Charles II», lui dédicace son traité: « C‘est mon voeu le plus cher que tous les Sujets de Votre Majesté Vous soient aussi loyaux, soient aussi respectueux de  vos lois, aussi favorables à l’Etat, que l’est ce petit peuple [des abeilles] à l’égard de son Souverain, de ses coutumes, et de sa république, dans laquelle il travaille et obéit de manière exemplaire[20] Il décrit le roi des abeilles un peu plus loin: « le Roi est une Abeille équitable et majestueuse (…); il commande et ordonne tout (…). Son gouvernement est absolu, car on obéit à ses ordres, jamais contestés,  que ce soit pour essaimer, pour mettre à mort les Bourdons et les jeunes Princes, ou pour protéger la ruche, et pour y travailler.» [21]

2/ Comment  le roi change de sexe sous « l’oeil de lynx » des microscopes de Galilée et de Swammerdam

La paternité du premier microscope optique est généralement attribuée à Galilée, avec son occhiolino de 1609 -le terme de microscope apparaissant en 1624: en réalité, des appareils sommaires existaient depuis quelques décennies déjà. Leur diffusion a permis une progression fondamentale des connaissances sur les insectes, et l’émergence d’une nouvelle science: l’entomologie. L’abeille, par son importance économique et symbolique, est sans conteste l’insecte initialement le plus étudié, disséqué, commenté, dessiné: et très tôt par les membres de l’Académie des Lynx (Accademia dei Lincei, « aux yeux perçants »), à Rome, à laquelle appartient Galilée: le prince Federico Cesi et Francesco Stelluti en tirent ainsi d’excellents dessins sur l’anatomie d’Apis dans leur Apiarium & Melissographia (1624).[22]

Or, ces premières observations au microscope amènent à une évidence entomologique qui, comme le carnaval médiéval étudié par Bakhtine, met le monde à l’envers: le « roi de la ruche » se révèle être une reine; les « nobles mâles » sont des abeilles femelles portant un dard; et les seuls insectes sans dard dans la ruche sont justement…les mâles. L’idée d’un « roi au féminin » avait déjà été formulée épisodiquement au XVIe siècle. Dès 1513, l’Espagnol Gabriel Alonso de Herrera, dans son Agriculture générale, consacre un chapitre aux abeilles, et signale que les apiculteurs « savent que la reine ou maîtresse pond des oeufs ».  En 1568, le Silésien Jacob Nickel évoque la naissance de reines à partir d’oeufs. En 1586, dans le tout premier traité d’apiculture en castillan, le Bref traité pour la culture et l’entretien des ruches, Luis Méndez de Torres est le premier auteur à affirmer explicitement que le roi des abeilles est en fait une reine. Comparant, dans son prologue, « la République des abeilles » à « une congrégation de religieuses de grande observance », il écrit que « leur reine, mère de l’essaim, est une femelle qui pond des oeufs » [23]. Confirmation, en 1597, du Hollandais Theodorus Clutius (Dirck Cluyt) dans son traité Des abeilles…, publié à Leyde. [24]

C’est un autre Hollandais, le médecin et microscopiste Jan Swammerdam, un grand nom de l’entomologie, qui, dans les années 1670-1680, dessine et décrit précisément l’appareil reproducteur de la reine, et les caractéristiques des trois castes d’abeilles. Ses manuscrits ne sont publiés, en néerlandais et en latin, qu’en 1737-1738, et en anglais en 1758; mais il avait déjà publié des textes sur la reproduction des insectes, y compris en français, lors de son séjour à Paris [25]. Les découvertes et publications des microscopistes sur les abeilles se multiplient dans la seconde moitié du XVIIe s. et la première moitié du XVIIIe s.: l’Italien Marcello Malpighi sur les poumons et les reins; l’astronome italien Maraldi, qui décrit ses observations dans la ruche vitrée qu’il a installée à l’Observatoire de Paris; le Néerlandais Anton van Leeuwenhoek sur le dard, la tête et l’appareil buccal; l’Anglais Robert Hooke sur l’aiguillon, et son compatriote Martin John sur les glandes cirières, etc. Dans son ouvrage monumental publié à partir de 1740, Mémoires pour servir à l’histoire des insectes, le comte René-Antoine de Réaumur, qui consacre 520 pages et une vingtaine de planches aux abeilles, commence par un long historique des discours et écrits sur les abeilles depuis l’Antiquité. [26] Avant d’aborder tous les aspects de la vie des abeilles, il synthétise tous les progrès dans la connaissance d’Apis, obtenus grâce aux microscopistes. Il rend hommage en particulier à Swammerdam, « dont les travaux viennent enfin d’être publiés », et auquel il emprunte certaines planches fondamentales. Moqué ou exalté, attaqué et pillé à la fois, l’ouvrage de Réaumur marque une rupture épistémologique en entomologie, et reste une référence jusqu’à l’époque contemporaine.

A partir du milieu du XVIIe siècle, le discours scientifique, dont celui qui concerne les abeilles, est diffusé en particulier par les sociétés savantes: en France, les académies de Paris et de province; en Angleterre la Royal Society of London; les académies de Berlin, Edimbourg, Stockholm, St-Petersbourg, Madrid, etc.   Elles ont leurs publications -bulletins et ouvrages, qui s’appuient sur de vastes réseaux de correspondants dans toute l’Europe et au Nouveau Monde.  La page de titre des Mémoires… de Réaumur, en 1740, le qualifie ainsi de « membre de l’Académie royale des Sciences, de la Société Royale de Londres, des Académies de Petersbourg et de Berlin, et de celle de l’Institut de Bologne ». Les connaissances entomologiques circulent ainsi dans toute l’Europe, avec des traductions nombreuses et parfois concommittantes à la première publication, dans cinq langues principales:  le latin, l’anglais, le français, l’allemand et le hollandais. Publiées dans nombre de traités, les correspondances échangées par les auteurs attestent de recherches scientifiques s’appuyant sur un véritable maillage européen. Sans entrer dans le difficile débat de la diffusion et de la réception de la connaissance scientifique et du livre à l’Epoque moderne (dont la mesure doit inclure les nombreuses rééditions, parfois pluri-séculaires, et les traductions), on peut donc considérer que l’idée d’une « reine pondant » et donc « mère de la ruche » est disponible au plan théorique en Europe à la fin du XVIe siècle. Même si des mécanismes fondamentaux en matière de reproduction restent inconnus, et ne seront élucidés que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, avec les travaux du pasteur allemand Adam Schirach sur l’élevage des reines (1771); du Slovène Anton Janscha, apiculteur de l’impératrice d’Autriche, sur la fécondation de la reine lors du vol nuptial (1771); et du naturaliste genevois et aveugle François Huber qui, assisté par son épouse et son domestique, décrit les différentes métamorphoses dans la ruche dans ses Nouvelles observations sur les abeilles (1789). [27]

Dès lors, face à ce corpus scientifique sans cesse consolidé, qu’advient-il du discours anthropomorphique et politique sur la ruche monarchique, et sur le sexe de l’abeille-mère, jusque-là pensé(e) et exalté(e) comme monarque mâle?

3/ Des perceptions anglaises et françaises différenciées de la « Monarchie féminine »

La nouvelle évidence du caractère féminin de l’abeille-mère pose problème à la philosophie politique et aux moralistes, car reconnaître l’abeille-mère implique un renversement complet de la représentation de l’ordre de la ruche, et donc potentiellement de l’ordre politique et social humain. Nous avons fait l’hypothèse d’une possible différence de réaction entre la France et l’Angleterre. A notre sens, le renversement est plus facilement accepté en Angleterre, parce qu’au même moment, des femmes montent sur le trône -et donc on se doit de légitimer et l’ordre nouveau de la ruche humaine, et de celle des abeilles. En France, en revanche, au même moment, on se heurte au caractère très masculin de la monarchie absolue.

L’adaptation anglaise à la féminisation du pouvoir

Les auteurs de l’Epoque moderne traitant des abeilles, qu’ils penchent vers la philosophie politique, ou au contraire rédigent des manuels pratiques, peinent quelque peu à admettre que la ruche est une « monarchie féminine », « société d’Amazones » où les femelles font à peu près tout, au contraire de mâles paresseux et jouisseurs. Ce sont d’abord les essais anglais qui s’adaptent à la réalité féminine du pouvoir chez les abeilles: il est vrai que plusieurs reines se succèdent sur le trône d’Angleterre. Nos auteurs anglais entre 1600 et le milieu du XIXe siècle sont donc particulièrement portés à comparer la dévotion des abeilles pour leur reine à celle des hommes pour leurs propres souveraines régnantes.

C’est, en effet, peu après le règne d’Elizabeth Ière (1558-1603) que le grammairien et musicologue Charles Butler publie en 1609, à Oxford, un ouvrage qui connaît un grand retentissement: The Feminine Monarchie or a Treatise Concerning Bees, and the Due Ordering of Them/La monarchie féminine, ou Traité concernant les Abeilles, et leur bon gouvernement [28]. Maintes fois réédité, traduit en latin (Monarchia Faeminina, 1617), il sera cité jusqu’au XVIIIe siècle par nombre d’auteurs européens. Rédigé parfois dans une orthographe aussi particulière que déconcertante, mais remarquablement clair sur le fond et dans sa mise en page, il synthétise des informations nombreuses et récentes, qu’il confronte aux idées traditionnelles.

Dans l’esprit de l’époque, Butler affirme que les abeilles vivent sous « UNE MONARCHIE PARFAITE, CETTE FORME LA PLUS NATURELLE ET LA PLUS ABSOLUE DE GOUVERNEMENT » [en majuscules dans le texte], reflétant l’ordre divin et naturel. Sujets fidèles du monarque, les abeilles, parées de multiples qualités, lui manifestent « attention, respect, amour, loyauté, obéissance … ». Elles offrent donc un admirable modèle au peuple anglais. Mais l’apport majeur est évidemment celui que proclame le titre de l’ouvrage: la ruche est bel et bien « une monarchie féminine ».  Butler s’en explique longuement: «Every where calleth their governour RexKing (… I wish…) to translate it Queene, since the males heere bear no sway at all, this being an Amazonian or feminine kingdom… »/ «Partout on nomme leur gouverneur Rex-Roi (…j’entends quant à moi) le traduire par Reine, puisque les mâles n’y portent pas l’épée, c’est donc une monarchie féminine, ou un royaume d’Amazones». [souligné dans le texte]. C’est une forme de révolution copernicienne dans la ruche, car Butler remet ainsi en cause un postulat bi-millénaire. Ceux que l’on disait mâles parce que portant un dard, sont en réalité des femelles -reine et abeilles; et celles que l’on disait femelles parce que sans dard, sont bel et bien des mâles -les faux-bourdons! L’observation par microscope des dissections confirme que les faux-bourdons ont des organes mâles, et qu’ils sont donc indubitablement « of Masculin’s Sex ».  «Ici il faut dire qu’à la fois la raison et l’observation prouvent pleinement que le prince et ses sujets armés sont des femelles : les abeilles ou nourrisseuses comme leur chefs. Il faut répéter que les abeilles sont des femelles… » [29].

L’ouvrage de Butler fait date par sa clarté sur le sexe des castes d’abeilles, même s’il reste ignorant des modes de reproduction. Il ouvre ce que nous qualifierons de véritable « veine littéraire anglaise de la ruche féminine » -ce qui a évidemment facilité les études anglo-américaines contemporaines. En 1637, le marchand puritain Richard Remnant publie Un discours ou histoire des abeilles (…). Il y répète que la ruche est une « Une monarchie féminine, gouvernée et dirigée par des femelles. » [30] Il confirme, par ses propres observations à la loupe, l’existence d’un appareil reproducteur chez la reine. L’ouvrage de Samuel Hartlib, La communauté réformée des abeilles, publié en 1655, sous Cromwell, développe la même thématique: «C’est une monarchie féminine, les femelles gouvernent… Mais voyez cette magnifique Reine des Abeilles, si qualifiée; elle est équanime, gracieuse, affectueuse, sans méchanceté, noble, calme, oui, attentive, un magnifique emblême de gouvernment.»  [31]

En 1712, le médecin Joseph Warder explicite son titre: Les vraies Amazones. Ou la monarchie des abeilles (…) sur la page de titre elle-même: “Où il est démontré par l’expérience: 1/ Qu’elles sont toutes gouvernées par une REINE 2/ La remarquable Beauté et Dignité de sa Personne 3/ Son extraordinaire Autorité et Pouvoir 4/ Leur Loyauté extraordinaire et l’Amour sans pareil qu’elles portent à leur REINE 5/ Leur sexe, Mâle et Femelle.” [en majuscules dans le texte]. L’ouvrage est dédicacé à Anne Stuart, reine du Royaume-Uni et d’Irlande: “La Reine des Abeilles gouverne avec Clémence et Douceur, tout comme Votre Majesté. On lui obéit et on la défend, sans la moindre hésitation de ses Sujets, tout comme votre Majesté.”[32] Warder se livre ensuite à une analyse du pouvoir absolu dans la ruche, qui repose non pas sur une cruelle tyrannie de la souveraine, mais sur l’adhésion volontaire des sujets:  une  thématique récurrente à propos de la ruche anthropomorphique anglaise. L’ouvrage du révérend  John Thorley,  Mελιςςθλογια [Melisselogia]. Or The Female Monarchy  (1744)  présente les abeilles comme exemplaires du travail de Dieu sur la terre et dans la nature. A côté de considérations pratiques bienvenues, il change les louanges de ces avettes diligentes, loyales et pures, fidèles servantes et de Dieu, et de la Monarchie féminine.[33] Même louange de la ruche dont la magistrate suprême est une « Reine bien-aîmée » dans le Traité d’exploitation des abeilles de  Thomas Wildman en 1770.[34] On retrouve cette veine jusqu’à la reine Victoria jeune, au milieu du XIXe siècle: les spécialistes de l’Angleterre ne manqueront donc pas de mettre en parallèle la chronologie de l’histoire de l’archipel et de ses soubresauts, et celle des dédicaces et discours des manuels d’apiculture…

Le Roi-Soleil, « Roi des abeilles » dans « la ruche de Versailles »

L’anthropologie historique confirme la généralité en Europe de la comparaison de la ruche à la société humaine, et comme modèle pour celle-ci [35]. La France ne se distingue donc pas de l’Angleterre à l’Epoque moderne : ni en matière de présentation de la ruche comme modèle, d’origine divine, de la société idéale, et d’une monarchie masculine; ni en matière de diffusion et de prise en compte progressive des découvertes scientifiques; ni en matière de réticences à accepter certaines nouvelles réalités scientifiques (le sexe de la reine, et le genre du pouvoir). La chronologie est la même. En revanche, l’approche empirique des manuels d’agriculture et d’apiculture français de notre corpus montre qu’ils développent nettement moins longuement qu’en Angleterre les discours liminaires expliquant ou justifiant le caractère désormais féminin de la ruche, se contentant en général  de citer les Antiques -Virgile, toujours- sur « le Roi des abeilles », avant de passer à « la reine », sans trop de commentaires. La réticence française existe cependant à accepter la « féminité » de la reine des abeilles. Et elle peut s’appuyer sur la nature masculine persistante du pouvoir royal, malgré des régences féminines pendant lesquelles quelques femmes ont su faire preuve et d’autorité et de sens politique. D’autre part, l’établissement et le renforcement de la monarchie absolue, essentiellement sous le long règne de Louis XIV, peuvent aussi avoir été un élément du fonctionnement politique français confortant le maintien du modèle classique de domination masculine, dans la ruche comme dans la société.

Un détour par la numismatique est instructif. On sait que la monarchie, à partir de Louis XIII et jusqu’à la Révolution, a émis une très longue série de jetons et de médailles en argent, portant à l’avers le portrait royal ; et au revers des figures pour la plupart inspirées de la mythologie gréco-romaine, avec des devises en latin suggérant les qualités du monarque et de sa politique. L’iconographie est ici fort riche, autant que facilement lisible. Parmi la symbolique récurrente des revers sur le temps long -les frappes sont quasiment annuelles sous le Roi-Soleil: la ruche, et l’essaim d’abeilles. La ruche comme figure de la société humaine, où l’on voit parfois entrer « le roi » suivi de tous ses sujets: « Mens Omnibus Una Rege In Columi / Ils suivront le Roi comme un seul homme ». L’essaim des abeilles s’envolant vers le soleil sous la direction de « leur roi »: « Ducem Regemque Sequuntur / Ils suivront leur Guide et Roi », etc. Versailles est une ruche, dont les courtisans sont les abeilles (mâles et femelles) groupées autour de la figure centrale du roi. Le duc de Saint-Simon évoque à plusieurs reprises les uns et les autres dans ses Mémoires : «Ce fut dans cet important et brillant tourbillon où le Roi se jeta d’abord, et où il prit cet air de politesse et de galanterie qu’il a toujours su conserver toute sa vie, qu’il a si bien su allier avec la décence et la majesté. On peut dire qu’il était fait pour elle, et qu’au milieu de tous les autres hommes, sa taille, son port, les grâces, la beauté, et la grand-mine qui succéda à la beauté, jusqu’au son de sa voix et à l’adresse et la grâce naturelle et majestueuse de toute sa personne, le faisaient distinguer jusqu’à sa mort comme le roi des abeilles. » [36]. La focalisation de la monarchie absolue sur la personne et le (double) corps du Roi est essentielle dans la construction symbolique de la monarchie [37]. On peut, dès lors, concevoir que certains essayistes s’activent à la permanence du modèle monarchique masculin dans la ruche, mêlant pour cela méconnaissance scientifique (sur les  mécanismes de la reproduction), et présupposés idéologiques. La question est abordée finalement tardivement au regard des découvertes scientifiques.

En 1740, l’avocat au Parlement de Paris Jean-Baptiste Simon publie à La Haye la première édition d’un manuel de « bon gouvernement des abeilles », qui développe dans ses premiers chapitres de longues considérations politiques. Les deuxième (1742) et troisième (1758) éditions polémiquent ensuite avec « M. de R. » [Réaumur], dont les travaux viennent d’être publiés, et largement diffusés en Europe [38]. Après avoir loué les qualités de la recherche, des textes et des planches de Réaumur, Simon en arrive au coeur du sujet: ses doutes sur la nature de la monarchie dans la ruche; son scepticisme ironique face à l’abeille-mère et au mode de reproduction qu’elle monopoliserait. Simon s’essaie donc longuement à concevoir une monarchie mixte, associant un roi et une reine. Celle-ci pond effectivement, mais des oeufs destinés exclusivement à la reproduction de la caste royale -les autres oeufs de la ruche étant le produit de l’accouplement des abeilles mâles et femelles. Ce qui lui permet de défendre une répartition classique des rôles dans le pouvoir: certes c’est la reine qui pond, mais c’est bien le roi qui exerce le pouvoir politique et symbolique réel.

Il apparaît que le traité de Moses Rusden, avec ses gravures du « roi couronné », est déjà anachronique par son insistance à exalter le caractère masculin du pouvoir politique, quand il est publié en 1679, soixante-dix ans après Butler. L’ouvrage de Jean-Baptiste Simon, soixante ans après Rusden, l’est évidemment encore plus. Parce que, désormais, la quasi totalité des auteurs ont du admettre que la ruche des abeilles est effectivement gouvernée par une « reine » toute-puissante. Mais ceci admis, et alors que le mode de reproduction des abeilles reste toujours un « trou noir » de la connaissance scientifique, le combat sur les rapports de sexe et de genre va se décaler sur un autre terrain: le comportement social des mâles et des femelles au sein de la monarchie féminine. Non pas dans leur rapport d’obéissance au pouvoir, dont personne ne doute, mais dans ce que l’on pourrait qualifier de « vie privée des abeilles ».

4/ Désordre des sexes, confusion des rôles et réhabilitation des mâles chez les « Amazones »

Les manuels d’agriculture et d’apiculture sont destinés à un large public et,  entre autres, et particulièrement en Angleterre, aux ménagères qui s’occupent des abeilles au même titre que des vers à soie, du poulailler et d’autres petits animaux domestiques. S’inscrivant dans l’esprit des très nombreux Théâtre ménager et autres Maison rustique publiés depuis les débuts de l’imprimerie en Europe, ces manuels sont conçus à la fois comme de conseils pratiques, et comme ouvrages instructifs aux plans religieux et moral. Jusqu’au XVIIIe siècle, une bonne partie d’entre aux tirent de l’agriculture et de l’élevage des leçons morales. Nombre de traités d’apiculture rappelent ainsi un ordre naturel parce que divin, qui maintient le partage traditionnel des rôles, des fonctions et des tâches entre les hommes et les femmes. Pour simplifier: aux hommes le pouvoir politique, le pouvoir militaire, les travaux de force, l’autorité sur les femmes et les enfants; aux femmes le devoir maternel, les travaux domestiques et minutieux, le respect de l’autorité masculine, et de la morale. La ruche des abeilles, à la fois projection de la société des hommes, et modèle idéal pour cette société, est donc présentée dans le partage traditionnel du masculin et du féminin, et des hiérarchies sociales (la noblesse, le peuple). Mais les découvertes scientifiques perturbent ce modèle, car elles en arrivent à remettre en cause et les métaphores sociales, et les postulats moraux,  que les auteurs entendent diffuser, et sans doute aussi leurs lecteurs lire. Et ce, alors même que la période est marquée par un renforcement de l’assignation des espaces, des rôles et des tâches, de l’espace public et de l’espace privé. [39]

L’un des problèmes récurrents, à partir du moment où la monarchie féminine est admise pour la ruche, est le statut des mâles, les faux-bourdons. Car loin d’être les nobles armés au service du roi pour de viriles missions de défense et de combats extérieurs, il apparaît désormais qu’ils n’ont pas de dard; qu’ils ne font rien d’utile dans la ruche, puisqu’ils ne butinent pas à l’extérieur et ne s’occupent pas de l’élevage du couvain; qu’au contraire ils mangent beaucoup, réduisant par là les réserves de la ruche. Au point d’être expulsés de celle-ci manu militari à l’automne, quand les abeilles se débarrassent de ces parasites gloutons: alors même, comme le rappelle Réaumour avec un humour certain, qu’on pensait depuis Aristote qu’étaient chassées de la ruche «les gloutonnes, les mauvaises ménagères & les paresseuses » -donc des femelles! [40]. Du point de vue de l’édification morale d’une société dirigée par les pères et les époux, ces abeilles mâles n’ont plus le beau rôle. Certains auteurs s’efforcent donc de défendre leur image et leur rôle. En postulant que les mâles sont les époux des abeilles, et qu’ils ont au moins le pouvoir essentiel de fécondation: les mécanismes de reproduction ne devenant perceptibles qu’avec les ruches d’observation, on projette en fait, une fois de plus, dans la ruche les comportements humains [41]. La reine ne pouvant pas s’accoupler avec le tout-venant, il y a sans doute des mâles nobles de sang royal, et qui n’ont donc pas vocation à travailler. On affirme aussi que les mâles sont moins oisifs dans la ruche qu’ils ne cherchent à réchauffer le couvain en stationnant sur les rayons: une forme de couvade masculine émerge ainsi de certains textes.

Dans son Théâtre des insectes (1658), Topsell va guerroyer contre l’idée que les mâles sont inutiles dans la ruche. Il refuse d’admettre qu’ils  n’aient pas un rôle politique, militaire et patriarcal. Il postule donc que dans chaque caste il y a des mâles et des femelles, qui s’accouplent. Et qu’il y a bien une noblesse au sein de la ruche: « De mon point de vue, [les abeilles du peuple] ne connaissent et reconnaissent d’autres mâles que leurs Ducs et Princes, qui sont plus capables et honorables, et plus grands et forts que tous les autres dans la ruche (…) ». Et si les  mâles n’ont pas de dards, c’est parce qu’ils les ont perdus dans des combats extérieurs, et en sont fort malheureux: « Si l’un des Soldats perd son dard au combat (…), il en est profondément découragé et disparaît, et ne vit plus très longtemps, rongé par le chagrin.»[42] Dans d’autres ouvrages, les abeilles femelles, dont les tâches au sein de la ruche sont progressivement mieux connues, sont désormais présentées comme des mères-nourricières modèles, surtout attentives à leur progéniture. Et s’il faut finalement admettre que ce sont les abeilles femelles qui sont dotées d’un dard,  c’est parce que les femmes ont un rôle de gardiennes de l’ordre existant et de protection de leurs enfants;  ce qui peut les mener jusqu’à expulser de la ruche les faux-bourdons à l’automne, puisqu’ils menacent la survie de la colonie. Mais on sent bien le mécontentement de certains auteurs face à ce monde à l’envers à cause de la science. Le plus explicite que nous ayions rencontré est sans conteste Richard Remnant en 1637, dans un ouvrage de 46 pages qui se veut un manuel pratique, mais ressort presque du pamphlet. S’interrogeant sur la situation du gouvernement féminin dans la ruche, il se demande s’il est vraiment « légitime pour les femmes de gouverner dans l’espace public ou dans l’espace privé ?» [43]. Il répond que si les femmes sont amenées à  gouverner, c’est parce que Dieu le veut,  quand les hommes ne sont pas en état de le faire par faiblesse ou absence; et si les hommes acceptent de déléguer le pouvoir.  Pour autant, les femmes ne doivent pas oublier que leur place est déterminée, assignée, par la volonté divine. Car, au fond, il n’est pas bon que «qu’un coq soit silencieux et qu’une poule chante / que les hommes obéissent et que les femmes commandent .» [44]

Même tonalité, 20 ans plus, chez le pasteur anglican Samuel Purchas, dans son Théâtre des insectes volants politiques [45]. Après des considérations sur l’ordre divin que représente la ruche, et sur le fait que la monarchie féminine des « Dames Amazones » ressort donc de l’ordre naturel voulu par Dieu, l’auteur exprime, par la restriction, son regret de ce caractère féminin « Bien que roi par son rôle et son pouvoir, le monarque est une reine » [46]. Dans la suite du texte, il n’emploie d’ailleurs que le « il » (« Hee ») pour qualifier la souveraine. Et de déplorer la subordination des faux-bourdons aux abeilles : « Alors qu’il est de règle, dans la Création, que les mâles valant plus que les femelles, ils en soient les maîtres .»[47] En 1712, dans Les vraies Amazones,  Joseph Warder s’attache lui aussi à réhabiliter les mâles [48] .  Car, travaillant au « bien-être » (« well-being ») de la ruche, ils s’attachent à la procréation, au couvage des œufs, et au réchauffement de la ruche. Ils libèrent ainsi du temps pour que les ouvrières puissent travailler. La tonalité est très proche dans le Melisselogia  du presbytérien et moraliste John Thorley en 1744 : « Pourquoi les femelles sont-elle couronnées avec honneur et dignité royale, et tous les emblèmes de la royauté? Alors qu’en même temps les mâles sont dégradés, traités avec grand mépris, rejetés par la populace et le commun ; expulsés et bannis, et, au final, assassinés sans pitié ? Les gentlemen qui soutiennent cela ont-ils oublié ce qu’on leur a enseigné à l’école, que le genre masculin l’emporte sur le féminin ? » [49].

Comme ses confrères anglais, l’avocat parisien Jean-Baptiste Simon est très préoccupé en 1740 par le sort misérable des faux-bourdons dans la tripartition de Réaumur: des mâles sans dards, oisifs, paresseux, et liquidés par les abeilles en fin de saison? Ces faux-bourdons peuvent-ils vraiment être des mâles, alors qu’ils ne sont pas armés et que les abeilles le seraient?: « L’expérience nous apprend que la nature (…) ne donne à aucune espèce d’animaux des armes aux femelles pour la défense et la conservation de leurs mâles ; mais qu’elle nous montre le contraire, en donnant des armes aux mâles pour la défense et la conservation de leurs femelles ». Qui donc sont ces bourdons « occupés à couver, [qui] n’ont d’autre occupation que celle de manger et de s’ébattre (…), à l’instar des femmes, dont la faiblesse en général ne leur permet pas d’être exposées aux fatigues d’un travail pénible, leur complexion délicate devant les dispenser des peines auxquelles les hommes sont assujettis par la nature… »? [50] Pendant que ses homologues anglais insistent sur la chasteté naturelle des abeilles, sur la pudeur de leur attitude, Simon file la métaphore du harem… à l’envers: comment concevoir « qu’une seule abeille (…) ponde la quantité d’œufs suffisante pour produire 40 ou 50000 petites abeilles et plus? (…) Cette mère unique femelle dans une Ruche, au milieu d’un sérail d’un grand nombre de bourdons, tous mâles, et un nombre prodigieux d’abeilles communes, qui ne sont ni mâles ni femelles, doit être bien tourmentée par tant de mâles, s’ils ont du penchant pour la propagation ! ». La morale ne peut que s’opposer à une telle potentialité de sexualité débridée. Il lui paraît bien plus raisonnable d’accepter la présence dans la ruche d’un Roi et d’une Reine «  laquelle est capable seule de pondre l’œuf ou les œufs destinés à perpétuer la race royale ».   L’honneur du mâle est donc sauf dans ce schéma de couple monarchique…

Simon trouve un soutien de poids auprès de l’apiculteur de Ferney: dans l’article « Abeilles » de son Dictionnaire philosophique de 1764, Voltaire intervient dans le débat [51]: « Je ne sais pas qui a dit le premier que les abeilles avaient un roi. Ce n’est pas probablement un républicain à qui cette idée vint dans la tête. Je ne sais pas qui leur donna ensuite une reine au lieu d’un roi, ni qui supposa le premier que cette reine était une Messaline, qui avait un sérail prodigieux, qui passait sa vie à faire l’amour et à faire ses couches, qui pondait et logeait environ quarante mille oeufs par an. (…) Il est venu un homme (….) possesseur de six cents ruches (…)  Cet homme est M. Simon, qui ne se pique de rien, qui écrit très simplement, mais qui recueille, comme moi, du miel et de la cire. Il prétend qu’il y a dans chaque ruche une espèce de roi et de reine qui perpétuent cette race royale, et il renvoie aux Mille et une Nuits (…) la prétendue reine abeille avec son sérail. ».

Et Voltaire de s’intéresser plutôt à la fameuse Fable des abeilles, ou les fripons devenus honnêtes gens, de Bernard de Mandeville: un pamphlet sévère paru à Londres en 1705, lu jusqu’au XIXe siècle, et qui compare encore une fois la ruche à la société humaine, et réciproquement [52]. Mais cette ruche n’est définitivement plus une société idéale: «Les abeilles autrefois/Parurent bien gouvernée. ». Mandeville prétend que « les abeilles ne peuvent vivre à l’aise dans une grande et puissante ruche, sans beaucoup de vices. Nul royaume, nul État, ne peuvent fleurir sans vices. » On le sait, la Fable de Mandeville sera un des textes de fondation de l’idéologie libérale au XIXe siècle.

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Au final, il nous paraît que le milieu du XVIIIe siècle est une charnière chronologique. La publication des textes de Réaumur,    et leur large diffusion en Europe, font notablement progresser les connaissances sur les abeilles, dans un saut qualitatif comparable à la période des microscopistes un siècle auparavant. On mesure définitivement la complexité de la ruche, l’essentiel des mécanismes de reproduction des trois castes d’abeilles, et le rôle unique de l’abeille-mère. Le succès concomitant du pamphlet de Mandeville accélère le désenchantement de la ruche divine, c’est-à-dire de la société des hommes. La « boîte noire » et ses mystères holistes est devenue une ruche d’observation vitrée, devant laquelle les femmes se pressent [53]. L’Ancien régime des abeilles va laisser place à la ruche libérale, et à la ruche socialiste. On ne saurait mieux dire que nous n’avons pas vraiment traité là de l’apiculture comme « science du bon gouvernement » des abeilles, mais bel et bien de l’histoire des idées politiques…

Jean-Paul BURDY
Maître de conférences d’histoire
Institut d’Etudes Politiques de Grenoble (France)
Grenoble Siyasal Bilimler Enstitüsü (Fransa)


REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Ouvrages anciens cités dans l’article (classement chronologique à la date de la 1ère édition. Les titres de l’Epoque moderne étant souvent très longs, on n’en a gardé que l’accroche initiale )

– ALONSO DE HERRERA Gabriel [1513], Libro de Agricultura General, que trata de la labrança y criança [Livre d’agriculture générale, qui traite de l’agriculture et de l’élevage],  Alcalá de Henares, 1513.

– ESTIENNE Charles & LIEBAULT Jean [1564-XVIIIe], L’Agriculture et Maison rustique (…), Lyon, 1564, 1598; 1629, 1666, 1670, 1677, 1702. Traduit en vénitien, italien, allemand, anglais, flamand, hollandais.

– HILL (ou HYLL) Thomas [1568-XVIe], A pleasaunt instruction of the parfit orderinge of Bees, with the marvelous nature, propertie and government of theim (…) [Plaisant traité pour le parfait commandement des abeilles], Londres, 1568, 1574, 1593, 1608…  

– CONSTANT Pierre [1582], Les Abeilles et leur Etat royal, Paris, 1582, 1599.

– MÉNDEZ de TORRES Luis [1586], Tratado breve de la cultivación y cura de las colmenas [Bref traité pour la culture et l’entretien des ruches],  Alcalá, 1586

– CLUTIUS Theodorus [1597-XVIIe] (CLUYT Dirck), Van de byen (…) [Des abeilles], Leiden, 1597, 1618, 1653…

– De SERRES Olivier [1600-XVIIe], Le théâtre d’Agriculture et Mesnage des champs, Paris, 1600. 23 éditions jusqu’à fin XVIIIe.

– BUTLER Charles [1609-XVIIe], The Feminine Monarchie or a Treatise Concerning Bees, and the Due Ordering of Them [La monarchie féminine, ou Traité concernant les Abeilles, et leur bon gouvernement], Oxford, 1609, 1623, 1634, 1678, 1682, 1704. En latin: 1617  (reproduire titre)

– LAWSON William [1618-XVIIe], A new orchard, and garden (…). As also, the husbandry of bees (…) [Le nouveau verger et jardin. Et aussi la bonne économie des abeilles], Londres, 1618, 1623, 1637, 1656, 1660…

– GESSNER Conrad, MOUFET Thomas et alii [1634/1658], Insectorum sive minimorum animalium Theatrum (…), Londini, 1634.  Trad. anglaise par Edward TOPSELL, The theater of insects or lesser living creatures as bees (…) [Le théâtre des insectes ou des petites créatures, telles les abeilles], Londres,  1658.

– REMNANT Richard [1637], A discourse or historie of bees. Shewing their nature and usage, and the great profit of them…[Un discours ou histoire des abeilles. Montrant leur nature et usage, et le grand profit que l’on en peut tirer], Londres, 1637.

HARTLIB Samuel [1655], The reformed common-wealth of bees: presented in severall letters and observations to Samuel Hartlib (…) [La communauté réformée des abeilles, présentée à travers de nombreuses lettres et observations adressées à Samuel Hartlib], Londres, 1655.

– PURCHAS Samuel [1657], A Theatre of Political Flying Insects (…) [Théâtre des insectes volants politiques], Londres, 1657.

– RUSDEN Moses [1679], A further discovery of bees. Treating of the nature, government, generation & preservation of the bee (…). [Une nouvelle découverte des abeilles. Où l’on traite de leur nature, de leur élevage, de la naissance et de la préservation de l’abeille] Londres 1679. (reproduire frontispice)

– LIGER Louis [1700-XVIIIe],  Oeconomie générale de la campagne, ou Nouvelle maison rustique, Paris, 1700; puis: La Nouvelle Maison rustique, ou Economie générale de tous les biens de campagne, 1708; nombreuses éditions françaises et européennes jusqu ‘à fin XVIIIe.

– MANDEVILLE Bernard [1705], The Grumbling Hive or the Knaves’ Turned Honest, Londres, 1705; trad.fr.: Fable des abeilles, ou les fripons devenus honnêtes gens, 1740.

– WARDER Joseph [1712-XVIIIe], The true amazons: or, the monarchy of bees (….) [Les vraies Amazones. Ou la monarchie des abeilles]. Londres, 1712, 1713, 1716, 1720, 1722, 1726,  1749,  1765…. (reproduire frontispice)

– SWAMMERDAM Jan [1737], Bybel der Natuure  of historie der insecten… [Bible de la Nature, ou Histoire des Insectes. Traité sur l’histoire des abeilles], Leiden, 1737

– REAUMUR René-Antoine FERCHAULT de [1740-XIXe], Mémoires pour servir à l’histoire des insectes, Paris, 1740 (Abeilles: tome V,  Mémoires 5 à 13)

– SIMON Jean-Baptiste [1740/1742/1758], Le Gouvernement admirable, ou la République des abeilles et les moyens d’en tirer une grande utilité, La Haye, 1740; Paris, 1742, 1758

– BAZIN Abbé Gilles Augustin, De REAUMUR René-Antoine FERCHAULT [1744]; Histoire naturelle des abeilles, Paris, Londres, 1744, 1747

THORLEY John [1744], Mελιςςθλογια or the Female Monarchy. Being an enquiry into the nature, order, and government of bees (…) [Melisselogia ou la Monarchie féminine. Une enquête sur la nature, l’ordre et le gouvernement des abeilles], Londres, 1744.

– WILDMAN Thomas [1768], A treatise on the management of bees (…) [Un traité sur le gouvernement des abeilles], Londres, 1768, 1770… trad. allemande et italienne.

– HUBER François [1789-XIXe], Nouvelles observations sur les abeilles, Genève, Paris, Londres, Edimbourg, 1789, 1792, 1796, 1806, 1814, 1821, 1829, 1841…


NOTES

[1]            /  REMNANT [1637], p.38. Les ouvrages d’apiculture anciens sont classés chronologiquement en fin d’article. Les traductions sont de l’auteur et respectent des orthographes anciennes.

[2]            /   Le terme d’apiculture n’apparaît qu’au milieu du XIXe siècle: jusque-là on parle d’élevage, de conduite, d’éducation, de culture, de gouvernement, des abeilles.

[3]            / Jusqu’à l’invention des ruches d’observation à parois vitrées, au début du XVIIIe s., la ruche reste un monde éminement  mystérieux, car on ne peut que spéculer sans preuves sur ce qui s’y passe dans une obscurité permanente: littéralement, la ruche est une « boîte noire ».

[4]            /  HOBBES Thomas, Léviathan, 1651, IIe partie, Chap.XVII « De la définition de la République »

[5]            / Plus de 500 ouvrages d’apiculture du XVIe au XIXe s., dont presque tous ceux cités dans cet article, sont accessibles en fac simile sur internet en janvier 2009: http://www.culturaapicola.com.ar/wiki/index.php/Libros_de_apicultura

[6]            /  Sous réserve d’exceptions, évoquées par ex. par BROAD Jacqueline, GREEN Karen, A History of Women’s Political Thought in Europe, 1400-1700, Cambridge, Cambridge University Press, 2009.

[7]    /  SIMON Jean-Baptiste, Le Gouvernement admirable, ou la République des abeilles et les moyens d’en tirer une grande utilité, La Haye, 1740; Paris, 1742 &  1758.

[8]     / Cf.: KELLER Evelyn Fox, Reflexions on Gender and Science, New Haven, Yale University Press, 1985; 10e éd. 1996. En particulier p.43-65 sur le XVIIe s.; MERRICK  Jeffrey,  Royal Bees: The Gender Politics of the Beehive in Early Modern EuropeStudies in Eighteenth-Century Culture nb.18, 1988, p.7-37. ; PRETE Frederick R., Can females rule the hive? The controversy over honey-bee gender roles in British beekeeping texts of the Sixteenth–Eighteenth centuries, Springer Netherlands, Journal of History of Biology, vol.24, nb.1, March 1991, p.113-144;  « Bees and Beekeeping : History of Gender Roles», chap.53 deCRANE Eva, The World History of Beekeeping and Honey Hunting, London-New York, Routledge, 1999, p.583-592; WAHRMAN Dror, On Queen Bees and Being Queens: A Late-Eighteenth-Century ‘Cultural Revolution’? in Colin JONES and Dror WAHRMAN (éd.), The Age of Cultural Revolutions: Britain and France, 1750-1820, Berkeley, UC Press, 2002, p.251-280; PRESTON Claire, Bee, London, Reaktion Books, 2006, en particulier les chap. 3 (“Kept Bee”) & 4 (“Political Bee”), p.31-75.

[9]            /  ALBERT Jean-Pierre, La ruche d’Aristote. Sciences, philosophie, mythologie, L’Homme no 110, 1989, vol.29, p.94-116.

[10]          /  De SERRES [1600], p.440. L’ouvrage est réédité à au moins 23 reprises jusqu’au XVIIIe s.

[11]          / MARCHENAY Philippe [1979], L’homme et l’abeille, Berger-Levrault, Paris, 1979 ;  CUISENIER Jean (éd.), L’abeille, l’homme, le miel et la cire, Catalogue ATP, Paris, RMN, 1981 ;

[12]          /    ESTIENNE [1564] , p.292 dans notre édition de 1702; LIGER [1700].

[13]         / HILL [1568], p.5.

[14]          / Ibid., p.5-7. « Nature hath commited by the Bees… that Kings ruling in power, through the lacke of their stings, may be by that means the slower to hurt and offer revengement…. This King only doth Bees reverence and honour… that anye of them is obedient and very readie to do whatsoever he assigneth them unto. »

[15]         / CONSTANT [1582]; LAWSON [1618]

[16]         /  GESSNER [1565] traduit par TOPSELL [1658], p.65 « He that is elected Monarch Caesar, and captaine generall of the whole swarme, is ever of a tall, personable, and heroycall stature, being twice so high as the rest, his wings shorter, his legs straight, brawny, and strong, his gate, pace, and manner of walking is more lofty, stately and upright, of a venerable countenance, and in his forehead there is a certaine red spot or mark with a diadem, for he far differeth from the popular and inferior sort in his comlinesse, beauty and honor.»

[17]          / Ibid.,  extraits  p.65-73. « Bees are governed and doe live under a Monarchy… admitting and receiving their King… by respective advise, considerate judgement, and a prudent election; …yet notwithstanding they still keepe their ancient liberties and priviledges, because of a certain prerogative they maintaine in giving their voices and opinions, and their King being deeply bound to them by an oath, they exceedingly honor and love. … For these are the laws of Nature not written with Letters, but even imprinted and engraven in theyr conditions and manners…. Whereas the Almightie hath created all things for the use & service of man, so especially among the rest hath he made bees, not onely that they should be unto us patterns and presidents of politicall and oeconomical virtues… but even Teachers and Schoolmasters instructing us in certaine divine knowledge, and like extraordinary prophets, premonstrating the successe & event of things to come.”

[18]          /  RUSDEN [1679]. Voir l’illustration hors texte.

[19]          /  Les bourdons n‘ont rien à voir avec les abeilles, dont ils sont de lointains cousins: ils sont ici confondus avec les faux-bourdons, mâles des abeilles.

[20]          /  Moses Rusden, in Apiculture and Culture, DuBois Library, University of Massachussets Amherst, 2006:  « I make it my prayer that all your Majesties Subjects may be as loyal to your Majesty, as comfortable to your laws, and as beneficial to the Publick, as these little people are to their Sovereign, to the customs, and their republick, in which they most exemplarily labour and obey. »

[21]          / CRANE, op.cit., p.591. « The King is a fair and stately Bee (…) (he) commands and orders all (…). His Government is absolute, because his orders are never disputed but obeyed, as well in swarming, and executing their Drones, and young Princes, as in watching, and working ». Une ruche ne pouvant accepter qu’une abeille-mère, Rusden évoque là l’exécution des jeunes reines à leur éclosion par la première-née, qui garde ainsi le monopole du pouvoir de pondre.

[22]          / Cf. illustration hors texte. Et: THEODORIDES Jean, Historique des connaissances scientifiques sur l’abeille, in R.CHAUVIN (dir.), Traité de biologie de l’abeille, Masson, 1968, tome V, p.2-34.; RUESTOW Edward G., The Microscope in the Dutch Republic. The Shaping of Discovery, Cambridge, 1996, 364p.

[23]          /   ALONSO DE HERRERA [1513]; MÉNDEZ de TORRES [1586]:  « la reina, madre del enjambre, hembra productora de huevos »

[24]          /   CLUTIUS [1597]

[25]          / SWAMMERDAM [1737]. Cf.COBB Matthew, Jan Swammerdam on social insects: a view from the Seventeenth century, Bâle, Insectes sociaux no 49, 2002, p.92–97; et : Reading and writing The Book of Nature: Jan Swammerdam (1637–1680), Elsevier, Endeavour vol.24, no 3, 2000, p.122-128.

[26]          /  REAUMUR [1740]. Cf.TORLAIS Jean, Réaumur et l’histoire des abeilles, Revue d’histoire des sciences n° 11, 1958, p.51-67;

[27]          /   HUBER [1789]

[28]         /  BUTLER [1609].

[29]          /  Les citations sont  tirées de l’édition de 1623:  « A perfect Monarchie, the most naturall and absolute forme of government »; « one Monarch, of whom above al things they have principal care & respect, loving, reverencing, and obeying her in al things…”; « But heer’ is bot’ Reason and Sens consenting, doo plainly proov’… dat bot’ de Princ’ and hir armed subjects are Shees… Bees or breeders as deir leaders : and again, Bee’s ar femal’s. »

[30]         / REMNANT [1637], p.2. « a female Monarchie, ruled and run by females »

[31]         / HARTLIB [1655] «This is a feminine Monarchie, the females governe… But see this royall Queen of Bees, how qualified ; she is faire, comely, loving, harmless, gentle, peaceable, yea a vigilant Queene, a royall emblem of government ». Cité par  RAYLOR Timothy,  Samuel Hartlib and the Commonwealth of Bees, in Michael Leslie and Timothy Raylor (eds.), Culture and Cultivation in Early Modern England, Leicester, 1992, p.91–129

[32]         / WARDER [1712]. Page de titre, et dédicace: The Queen-Bee Governs with Clemency and Sweetness, so doth Your Majesty ; she is Obey’d and Defended, out of Choice and Inclination by her Subjects, so is Your Majesty »

[33]          / ALBERT-LLORCA Marlène, Les servantes du Seigneur, l’abeille et ses œuvres, in Des hommes et des bêtes, Terrain no 10,avril 1988, 144p., p.23-36.

[34]          /  THORLEY [1744]

[35]          /  Cf. supra, note 9.

[36]         /  SAINT-SIMON, Mémoires, tome V (1714-1716)

[37]          /  KANTOROWICZ Ernst, Les Deux Corps du roi, Paris,1989.

[38]          /  JB.SIMON [éd.1740, 1742, 1758]

[39]          /  Cf. KELLER, 1985, op.cit.

[40]          /  REAUMUR [1740], Cinquième mémoire, p.274

[41]    / Rappelons que c’est seulement dans le dernier tiers du XVIIIe siècle que le mécanisme de fécondation de la reine par plusieurs mâles lors d’un vol nuptial, et de reproduction des abeilles, est scientifiquement compris.

[42]          / TOPSELL [1658], cité par PRETE, op.cit.  « the sounder sort (in my judgement) will neither know nor aknowledge any other males but their Dukes and Princes, who are more able and handsome, greater and stronger than any of the rest, who stay ever at home (…). If any Souldier looseth his sting in fight (…), he is presently discouraged and dispaireth, not living long, though extreamity of griefe.”

[43]          /  REMNANT,, op.cit., p.36-37. « [Is it] lawfull for women to govern in a commonwealth [or] in private houses and families? »

[44]          /  Ibidem, p.38. Citation complète en exergue de l’article.

[45]         /   PURCHAS [1657]

[46]          / PURCHAS, op.cit., p.28.: “Though a king in place and power, the Monarch is in sex a female ».

[47]    / Ibidem.p.40-41 : « Albeit generally among the creatures, the males as most worthy, do master the females”

[48]           / WARDER [1712]

[49]          /  WARDER p.89-90  «Why must the female be Crowned with Honor and regal Dignities, and all the Ensigns of Royalty ; when at the same time the Males are degraded, treated with the utmost Contempt, triumphed over, and trampled upon by the Populace and Commonality ; expelled and banished, and, in a word, slain without mercy ? or have these Gentlemen quite forgot what they were taught when school-boys, that the Masculine Gender is more worthy than the female?”. Cité par PRETE, op.cit., p.139.

[50]          / SIMON [éd.1758], op.cit. p.1-38. C’est Réaumur, op.cit. p.495 qui évoque le sérail de mâles

[51]          /  Voltaire, Dictionnaire philosophique (1764), article Abeilles

[52]         /  MANDEVILLE [1705]

[53]          /   De nombreuses gravures animées de l’époque des Lumières représentent différents types de ruches d’observation vitrées: on y voit presque toujours des femmes (et parfois des enfants), observant les abeilles. Une iconographie très signifiante dans l’histoire du rapport des femmes à la science…


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