
Nous ne disposons d’aucun détail chronologique sur la vie d’Augustine, épouse de Nicolas Chambon de Montaux, sinon qu’elle est parfois qualifiée « d’institutrice« , et a inventé un nouveau modèle de chaufferette, l’augustine… Wikipedia.fr consacre une notice1 à son époux, le « Docteur Nicolas Chambon de Montaux (de son vrai nom Joseph Chambon, dit Nicolas Chambon ou Nicolas Chambon-Millicent), né à Breuvannes-en-Bassigny (Haute-marne), le 21 septembre 1748 et mort à Paris, le 2 novembre 1826 ». Et de détailler, outre ses écrits médicaux sous l’Ancien régime 2, sa (brève) carrière politique dans le Paris révolutionnaire : commissaire pour la proclamation des curés constitutionnels en 1789 ; administrateur des impositions et des finances de la ville en 1790 ; membre de la société des Jacobins, dans la section de la Halle aux blés ; maire de Paris du 1er décembre 1792 au 4 février 1793. Débordé par les évènements qui accompagnent l’exécution du roi le 21 janvier3, et accusé de « modérantisme« , il démissionne et se retire à Blois, sur un de ses domaines. Il commet alors un copieux « Traité de l’éducation des moutons »4.… Et publie en 1814 une « Lettre sur les calomnies répandues contre moi…5» témoignant de son amertume sur son passage à la mairie de Paris

En fin de l’article de wikipedia, sous le titre « Anecdote » [sic], on lit : « Augustine Chambon de Montaux, institutrice, laissera son prénom à l’invention des chaufferettes à eau bouillante, appelées augustines.6» Il n’est, en revanche, pas fait mention des activités apicoles d’Augustine…. Il est vrai que sa contribution, un manuel imprimé en l’An VI (1798) et réédité en 1804, avec une traduction allemande, est attribué à « A. Chambon » et « enrichi par N. Chambon .» Comme très souvent à l’époque, les initiales ne peuvent pas laisser deviner que l’auteur(e) principale est une femme. Ce n’est qu’au détour d’une notice de parution qu’on apprend qu’il s’agit de « Mme Chambon de Montaux, avec des notes critiques par son mari ».
A.CHAMBON [Augustine CHAMBON de MONTAUX] [1798/1804], Manuel de l’éducation des abeilles, ou, Manière sûre et facile de les conserver, de les multiplier et d’en tirer un grand profit par A.Chambon. Extraits de Réaumur enrichis d’observations nouvelles et de notes intéressantes par N.Chambon, Paris, Antoine Jeudy Dugour et Durand, an VI, 1798, 216p. ; rééd.1804.


L’ouvrage est traduit en allemand en 1804, sous le titre: Handbuch der Bienenzucht. Oder: sichere und leichte Art, Bienen zu erhalten; nach Reaumur’s u. eigenen neuen Beobachtungen bereichert; aus d. Franz. übers, mit erl. Zusätzen …von Augustine Chambon; übersetz. Luise Riem u. Wilhelmine Riem, Dresden, Walther, 1804, 268p. Le fait que Johann Riem (1737-1809), prolifique auteur allemand de textes sur les abeilles et l’apiculture, soit mentionné sur la couverture de la traduction, est une caution importante pour la diffusion de l’ouvrage d’Augustine.
Un manuel pratique classique, complété par des notes copieuses qui attestent d’une ample connaissance des productions scientifiques du temps
L’ouvrage se veut un manuel pratique s’appuyant sur les réflexions et les expériences de Réaumur, dont les Mémoires sont « intéressants pour les Savants », mais trop académiques pour les agriculteurs. Il se veut aussi une contribution à l’économie rurale, « pour cesser de porter un tribut annuel aux étrangers, de qui nous achetons le miel et la cire pour des sommes considérables. » Dont, en particulier, le risque de pénurie de sucre des colonies. Elle signale y avoir « réuni des Notes qui m’ont été communiquées par mon mari. ». Et assassine à la fin de sa préface « l’espèce de réputation de l’abbé de la Rocca » […] Tout ce qui est écrit est de la même négligence […], une compilation incohérente de tout ce qui a été publié sur les abeilles. ».
Sur une centaine de pages de texte, l’économie générale du Manuel d’Augustine Chambon est des plus classiques :
- Description morphologique. Les trois ordres (la reine, les mâles, les ouvrières).
- Les différents types de ruche. L’intérêt d’avoir une ruche vitrée pour observer le fonctionnement de la ruche. L’orientation du rucher. Les ennemis des abeilles.
- L’activité des abeilles. La construction des rayons. La propolis. Les cellules. Le pain des abeilles. La cire. Le miel.
- La fécondation et la ponte de la Mère-Abeille [l’auteure présume que la fécondation a lieu au sein de la ruche – elle n’a pas encore connaissance des travaux contemporains du genevois François Huber, qui vient juste de démontrer que la fécondation a lieu lors d’un vol nuptial hors de la ruche7]. Le sort des mâles dans la ruche.
- Les soins apportées aux œufs et larves par les ouvrières.
- Les essaims, leur capture.
- La nécessité absolue d’une mère ; de la remplacer en cas de disparition. Le remèrage. La division d’une colonie en la plongeant dans l’eau. Le transfert des abeilles d’un panier à l’autre par tapotement.
- Les manières de couper ou « châtrer » les ruches pour en récolter le miel. Le tamisage des rayons, le pressage.
- Les travaux des saisons. Comment passer la saison d’hivernage, en nourrissant. Les visites d’hiver. Les déplacements des ruches [avec un long développement sur les charriots de transhumance]


Dans les copieuses 88 notes de fin de texte, les auteurs -puisqu’il s’agit d’une co-rédaction d’ Augustine et Nicolas Chambon, citent, outre les Antiques : Maraldi, Réaumur, Swammerdam, Schirach, Attorf, Riem ; Palteau pour sa ruche en bois ; l’abbé Rozier, de Massac, Boisjugan, Ducarne, Gélieu, de la Ferrière, Cuighien, Wildmann, Bonnet, Simon, Butler, etc. On peut donc supposer que le domaine de Blois abrite une bibliothèque apicole conséquente. Réaumur et Swammerdam sont cités particulièrement longuement et précisément. Ce qui témoigne d’une bonne connaissance par le couple de la production scientifique et pratique de la deuxième moitié du XVIIIe s. On rend compte de leurs travaux et propositions, et on n’hésite pas à les remettre éventuellement en cause. Les auteurs consacrent de longs développements à leurs propres pratiques et expériences dans leurs ruches, à Blois et en Haute-Marne et Champagne, d’où la famille de Nicolas Chambon est originaire. Ce manuel témoigne de l’articulation par les auteurs des observations et expérimentations pratiques et de la lecture critique des études scientifiques. Sans qu’il soit possible d’attribuer à l’une et à l’autre leur part respective dans l’écriture, même si les notes sont peut-être plus largement de la plume du mari.

En dépouillant des catalogues bibliographiques, on relève finalement qu’Augustine Chambon (sous initiales, encore) est aussi intervenue dans le débat politique avec un texte publié en 1819 : « Réflexions morales et politiques sur les avantages de la monarchie, par Mme C. de M*** ». Qui est un copieux essai d’histoire et de philosophie politiques, nourri des Antiques et de l’histoire de l’Europe, sur la société civile et politique, sur le pouvoir et le gouvernement, la morale et la vertu, etc. Un ouvrage globalement conservateur et moralisateur, qui dénonce les violences de la révolution française.à l’opposé des « lois naturelles immuables ».

NOTES
1 https://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas_Chambon – consulté le 24/5/2020
2 Médecin-chef à la Salpêtrière et médecin aux armées, il est l’auteur, en autres, de : Des maladies des femmes, Paris, 1784; Des maladies de la grossesse, Paris, 1785; Des maladies des filles : pour servir de suite aux Maladies des femmes, Paris, 1785; Moyens de rendre les hôpitaux plus utiles à la nation, Paris, 1787 ; Des maladies des enfants, an VII ; Maladies chroniques à la suite des couches, Paris, An VII; Maladies chroniques à la cessation des règles, Paris, An VII, etc. Plusieurs de ces traités ont été traduits en allemand. Les Maladies des filles ont été traduites en russe, à Vladimir, en 1799 : « О болѣзняхъ дѣвицъ ».
3 « Lettre de Nicolas Chambon, maire de Paris, aux citoyens composant la Section de la Halle aux Bleds, Paris, le 19 janvier 1793, l’an second de la République » ; « Le Maire de Paris à ses concitoyens au sujet de l’exécution de Louis XVI. Signé : Chambon », Paris, Impr. de C.-F. Patris, (s.d.)
4 Traité de l’éducation des moutons, ouvrage accompagné de huit grands tableaux, indiquant les moyens d’accroître et d’améliorer un troupeau métis ordinaire, dans lequel on n’a introduit que des béliers purs, etc. ; par M. Chambon de M…. , A Paris, chez Arthus Bertrand, libraire, rue Hautefeuille, n°23, acquéreur du fonds de M. Buisson, 1810, 2 vol., 388+324p..
5 « Lettre à Monsieur C… sur les calomnies répandues autrefois contre moi, comme maire de Paris, et renouvelées dans ce temps .. », .Paris, Ed.Mame, 1814, 15p.
6 L’invention est présentée dans le Bulletin de la Société pour l’encouragement de l’industrie nationale,1815, p.207-210. En ligne : https://books.google.fr/books?CHAMBON
7 Cf. HUBER François [1792], Nouvelles observations sur les abeilles, adressées à Charles Bonnet, Genève, Barde, Manget, 1792
REFERENCES
CHAMBON de MONTAUX Augustine [1798/1804], Manuel de l’éducation des abeilles, ou, Manière sûre et facile de les conserver, de les multiplier et d’en tirer un grand profit par A.Chambon. Extraits de Réaumur enrichis d’observations nouvelles et de notes intéressantes par N.Chambon, Paris, Antoine Jeudy Dugour et Durand, an VI, 1798, 216p. ; rééd.1804. En ligne : https://ia801204.us.archive.org/33/items/manueldeleducati00cham.pdf
CHAMBON de MONTAUX Augustine [1804], Handbuch der Bienenzucht. Oder: sichere und leichte Art, Bienen zu erhalten; nach Reaumur’s u. eigenen neuen Beobachtungen bereichert; aus d. Franz. übers, mit erl. Zusätzen …von Augustine Chambon; übersetz. Luise Riem; Wilhelmine Riem, Dresden, Walther, 1804, 268p. En ligne: https://digital.slub-dresden.de/werkansicht/dlf/8708/0/
CHAMBON de MONTAUX Augustine [1814], Réflexions morales et politiques sur les avantages de la monarchie, par Mme C. de M*** , Paris, P. Didot , 1819, 415p. En ligne sur BNF-Gallica :https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6423223b.texteImage
2 commentaires sur « Augustine Chambon de Montaux, plus connue pour sa chaufferette « l’augustine » que pour son Manuel de l’éducation des abeilles (1798), co-écrit avec son mari Nicolas, brièvement maire de Paris en 1792-1793. »
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