

La réponse d’extension du proboscis (Proboscis extension response, PER).
Résumé par les auteurs (traduction de : http://learnmem.cshlp.org/content/19/2/54.abstract)
« L’abeille domestique Apis mellifera s’est imposée comme un modèle robuste et influent pour l’étude du conditionnement classique, grâce à l’existence d’un protocole de conditionnement pavlovien puissant : le conditionnement olfactif de la réponse d’extension du proboscis (Proboscis extension response, PER). En 2011, ce protocole a célébré ses 50 ans, depuis son introduction par Kimihisa Takeda en 1961. Nous passons ici en revue ses origines, ses développements et ses perspectives afin de définir les axes de recherche futurs et les évolutions méthodologiques et conceptuelles nécessaires. Nous montrons que le conditionnement olfactif de la PER est devenu un outil polyvalent pour l’étude de questions relevant de domaines extrêmement divers, au-delà de l’apprentissage et de la mémoire, et qu’il a permis la caractérisation comportementale non seulement des abeilles, mais aussi d’autres espèces d’insectes, pour lesquelles le protocole a été adapté. Nous saluons ainsi le travail original de Takeda et encourageons nos collègues à concevoir et à mettre en place d’autres outils comportementaux robustes pour une caractérisation précise de l’apprentissage et de la mémoire chez les insectes, à différents niveaux d’analyse. »
Objectifs de l’article
L’article de Giurfa et Sandoz propose une synthèse des cinquante années de recherche consacrées au conditionnement olfactif de l’extension de la trompe chez l’abeille (Proboscis extension response, PER), paradigme expérimental fondamental en neuro-éthologie. Ce protocole, introduit dans les années 1960 par le chercheur japonais Takeda conditionne l’abeille à associer une odeur à une récompense sucrée, entraînant l’extension réflexe de la trompe lorsque l’odeur est ensuite présentée seule. Les auteurs retracent l’évolution de ce modèle, de simple outil comportemental à véritable plateforme intégrée pour explorer la cognition, les bases neuronales de l’apprentissage et la plasticité synaptique.
Ils distinguent plusieurs périodes. La première correspond à l’élaboration du protocole et à la démonstration qu’un insecte peut apprendre des associations sophistiquées. Les années 1980-1990 approfondissent la compréhension de la mémoire (immédiate, à court terme, à long terme), notamment via l’identification de phases dépendantes ou non de la synthèse protéique. À partir des années 2000, la généralisation du séquençage du génome de l’abeille et l’essor des méthodes d’imagerie calcique permettent de coupler la PER au niveau cellulaire, en particulier dans les corps pédonculés (mushroom bodies), des structures cérébrales des insectes, particulièrement développées chez l’abeille, où ils sont un centre de traitement multimodal essentiel pour l’apprentissage, la mémoire et le traitement sensoriel.
L’article insiste sur deux contributions majeures du modèle PER :
- Sa robustesse méthodologique et sa reproductibilité, qui en font un paradigme de référence pour l’étude de l’apprentissage associatif chez l’invertébré.
- Sa puissance heuristique, permettant d’aborder des questions centrales : circuits neuronaux spécialisés dans l’olfaction, rôle des neuromodulateurs (dont la dopamine), dynamique temporelle de la mémoire, et comparaison entre systèmes nerveux vertébrés et invertébrés.
Les auteurs mettent également en avant la valeur comparative du modèle : malgré la taille infime du cerveau de l’abeille (environ 1 million de neurones), on y observe des processus cognitifs de haut niveau, tels que la généralisation, la catégorisation, voire des capacités apparentées au raisonnement élémentaire et à la mémoire épisodique. L’article conclut sur les perspectives, notamment l’intégration du modèle PER avec des approches génomiques, neuro-immunologiques et écologiques, faisant de l’abeille un organisme modèle en neurosciences comportementales.
Eléments de lecture critique
L’article se distingue par sa portée historiographique, appréciable pour l’historien : il date et contextualise les avancées expérimentales, rendant accessible l’évolution conceptuelle du domaine. Cette structure chronologique facilite la compréhension du passage d’un protocole comportemental isolé à un programme de recherche multi-méthodologique dans le champ des neurosciences. L’article contribue, parmi bien d’autres de nombreux auteurs (Menzel, Chittka, Giurfa, etc.) à renverser l’idée d’une cognition strictement proportionnelle à la taille du cerveau : l’abeille, avec son tout petit cerveau, est ainsi un modèle cognitif pertinent.
Qui était Kimihisa Takeda ?
Kimihisa Takeda était un chercheur japonais, biologiste à la Faculté des sciences de l’Université de Kyushu à Fukuoka, qui, en 1961, a publié l’une des premières études classiques sur l’apprentissage olfactif chez l’abeille Apis mellifera en utilisant le réflexe d’extension de la trompe (Proboscis Extension Response, PER) comme mesure comportementale. Si son travail s’appuyait sur des protocoles antérieurs de conditionnement chez les insectes (notamment des stimuli visuels), Takeda a introduit le stimulus olfactif (odeurs) dans le conditionnement, ouvrant ainsi la voie à de nombreuses études ultérieures sur l’apprentissage olfactif chez un invertébré. Le protocole de Takeda, relativement simple à mettre en œuvre, et facilement reproductible, a montré que les abeilles pouvaient apprendre à associer une odeur à une récompense (eau sucrée) et modifier leur comportement réflexe en conséquence, ce qui a montré que les insectes possèdent des capacités d’apprentissage plus sophistiquées qu’on ne le pensait jusque-là, et plusieurs stades de mémorisation (mémoire immédiate, à court terme, à long terme, consolidation, etc.). Takeda a facilité les recherches ultérieures en neurosciences comportementales en permettant l’intégration de multiples niveaux d’analyse (comportemental, neuronal, moléculaire).

Schéma du cerveau de l’abeille
Références
TAKEDA Kimihisa [1961] « Classical conditioned response in the honey bee », Journal of Insect Physiology, 1961, no.6, p.168-179.
GIURFA Martin, SANDOZ Jean-Christophe [2012] « Invertebrate learning and memory: fifty years of olfactory conditioning of the proboscis extension response in honey bees », Learning and Memory, 2012, no 19, p.54-66. (Ref.) http://learnmem.cshlp.org/content/19/2/54.abstract
LEBRUN-TESSIER Camille,[2020] Utilisation du réflexe d’extension du proboscis dans l’étude du ”marquage comportemental” (Behavioral Tagging) chez l’abeille (Apis mellifera), Thèse de médecine vétérinaire et santé animale, Toulouse, ENVT, 2020, 108p. pdf: https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-04532812v1/file/Lebrun-tessier_26753.pdf
Biographie et quelques publications de Martin Giurfa


Martin Giurfa et son équipe du Centre de Recherche sur la Cognition Animale (Toulouse), 2019
Pour une brève biographie de Martin Giurfa et de ses travaux en neurosciences, cf. AVARGUES-WEBER Aurore [2025], « Portrait de Martin Giurfa », Société des neurosciences, 21/3/2025. URL: https://www.neurosciences.asso.fr/2025/03/portrait-de-martin-giurfa-par-aurore-avargues-weber/
GIURFA Martin [1991], The importance of spectral and olfactory information in the foraging strategies of the honeybee Apis mellifera L., PhD Thesis, University of Buenos Aires, 1991.
GIURFA Martin [1993], « The repellent scent-mark of the honeybee Apis mellifera ligustica and its role as communication cue during foraging », Insectes Sociaux , 1993, no 40, p.59-67.
GIURFA Martin, NUNEZ J., BACKHAUS W. [1994], « Odour and colour information in the foraging choice behaviour of the honeybee », Journal of Comparative Physiology, vol.175, p.773-779.
GIURFA Martin [1996], « Movement patterns of honeybee foragers: motivation and decision rules dependent on the rate of reward », Behaviour, 1996, no 133, p.579-596
GIURFA Martin, HAMMER M., STACH S. et alii, [1998], « Pattern learning by honeybees: conditioning procedure and recognition strategy », Animal Behaviour , 1998, no 57, p.315-324.
GIURFA Martin, ZACCARDI G., VOROBYEV Mish, [1999], « How do bees detect coloured targets using different regions of their compound eyes », Journal of Comparative Physiology, 1999, no 185, p.591-600.
GIURFA Martin [2003], «The amazing mini-brain: lessons from a honey bee », Bee World, 2003, vol. 84, no1, p. 5-18.
GIURFA Martin [2011], «Visual Cognition in Social Insects», Annual Review of Entomology , 2011, vol.56, p.423‑443.
GIURFA Martin, SANDOZ Jean-Christophe [2012] « Invertebrate learning and memory: fifty years of olfactory conditioning of the proboscis extension response in honey bees », Learning and Memory, 2012, no 19, p.54-66. (Ref.) http://learnmem.cshlp.org/content/19/2/54.abstract
GIURFA Martin [2012], « Visual cognition in honey bees: from elemental visual learning to non‑elemental problem solving » p.471-484 in : GALIZIA C. Giovanni, EISENHARDT Dorothea, GIURFA Martin (dir.) [2012], Honeybee Neurobiology and Behavior: A Tribute to Randolf Menzel, Springer, January 2012, 510p. (36 chapitres consacrés aux abeilles). (Sommaire ) https://link.springer.com/book/10.1007/978-94-007-2099
GIURFA Martin [2012], « Social learning in insects: a higher order capacity? », Frontiers in Behavioral Neuroscience, 2012, 6:57
CHITTKA Lars, GIURFA Martin, RIFFELL J.A. [2019], « Editorial: The Mechanisms of Insect Cognition » , Frontiers in Psychology , 2019, 10:2751.
GIURFA Martin, GIURFA de BRITO Anaclara , GIURFA de BRITO Tiziana, de BRITO SANCHEZ Maria Gabriela [2021] , « Charles Henry Turner and the cognitive behavior of bees », Apidologie, 2021, no 52, p.684–695. (*Facs*) https://link.springer.com/article/10.1007/s13592-021-00855-9

