Tribune contre le projet de Loi Duplomb – Il faut empêcher le retour du néonicotinoïde acétamipride, un poison pour les pollinisateurs !


Le 1er février 2025, à l’appel du Syndicat d’apiculture de la Haute-Loire et de la Confédération paysanne, des apiculteurs ont dressé un « mur de ruches » devant la permanence du sénateur Duplomb, au Puy-en-Velay.


La proposition du sénateur Duplomb (Haute-Loire, Les Républicains, conseiller de Laurent Wauquiez) de réintroduire l’acétamipride, néonicotinoïde dont la communauté scientifique a montré les dangers, est un contresens écologique et agronomique[1]. Les connaissances accumulées en écotoxicologie ces dernières décennies sont sans appel : ces molécules agissent sur le système nerveux des insectes, tout particulièrement les abeilles, provoquant désorientation, perte de mémoire, diminution de l’immunité, altération du comportement de butinage et effondrement des colonies. Même à doses infimes et sublétales, leur persistance dans les sols et leur présence dans le pollen, le nectar et l’eau rendent l’exposition des pollinisateurs diffuse, continue et inévitable. Ignorer ces données, c’est nier vingt ans de littérature scientifique internationale. Mais cela n’étonne pas venant de Duplomb, qui va répétant son aversion pour les normes et « politiques environnementalistes », « des règles liberticides, ruralicides et antisociales ». qui entravent l’agriculture intensive et ressortent d’une «écologie punitive ». On peut supposer qu’il manifeste la même aversion pour les innombrables études scientifiques qui démontrent depuis des années la nocivité spécifique des néonicotinoïdes pour les pollinisateurs.

Représentant de l’agro-industrie productiviste, Duplomb, qui a exercé des responsabilités à la FDSEA (et présidé la Chambre d’agriculture de Haute-Loire) et à la FNSEA, invoque la « compétitivité agricole » française pour justifier ce retour en arrière calamiteux. En qualifiant pudiquement l’acétamipride, « outil agricole moderne », de « molécule », comme si ce mot pouvait masquer sa véritable nature : un poison chimique. Mais quel modèle agricole peut durablement prospérer en affaiblissant ses alliés biologiques essentiels ? Les insectes pollinisateurs contribuent à un tiers de la production alimentaire mondiale et à la reproduction de près de 80 % des plantes à fleurs. Leur disparition n’est pas un sujet sectoriel : c’est une menace systémique pour la sécurité alimentaire, la stabilité des écosystèmes et l’économie agricole elle-même. La recherche agronomique offre des alternatives crédibles — diversification des cultures, biocontrôle, sélection variétale, gestion intégrée des ravageurs — qui nécessitent du courage politique plutôt que la facilité toxique du retour aux molécules à large spectre.

Nombre d’apiculteurs ont pu relever les effets de ces substances avant leur interdiction : colonies désorientées, reines affaiblies, butinage interrompu, mortalité hivernale amplifiée. Les apiculteurs ne parlent pas d’idéologie mais d’observation empirique, confirmée par l’analyse scientifique. Chaque ruche perdue est un indicateur biologique — un signal d’alarme envoyé par la nature. Face à lui, l’hésitation n’est plus une option. On ne peut prétendre défendre la souveraineté alimentaire en détruisant la base biologique de la production. Réintroduire l’acétamipride serait un geste de renoncement, un aveu d’impuissance face aux défis agronomiques contemporains, au grand bénéfice économique et idéologique des multinationales de l’agrochimie. Notre responsabilité collective est de bâtir un modèle agricole moderne, résilient, fondé sur la connaissance et le vivant, pas sur des béquilles chimiques déjà dépassées par la science. Les abeilles, les pollinisateurs, le vivant doivent être protégés, et donc le retour des néonicotinoïdes interdit.

NOTE

[1] Pour une première approche de l’acétamipride, et de ses impacts négatifs de longue durée sur la biodiversité, on peut se reporter à l’article de wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ac%C3%A9tamipride

WHITEHORN Penelope R. et al. (2012) « Neonicotinoid pesticide reduces bumble bee colony growth and queen production », Science,  29/3/2012, Vol 336, Issue 6079, p. 351-352URL : https://www.science.org/doi/10.1126/science.1215025? (Résumé : une exposition sublétale (imidaclopride) réduit la croissance des colonies de bourdons et la production de reines).

HENRY Mickaël et al. (2012). « A common pesticide decreases foraging success and survival in honey bees », Science,  20/4/2012, Vol.336 / 6079, p.348-350. URL : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22461498/  (Résumé : Étude de terrain/étiquetage (RFID) montrant que l’exposition sublétale à un néonicotinoïde altère l’aptitude d’orientation et de retour à la ruche des butineuses.)

LUNDIN Ola et al. (2015). « Neonicotinoid insecticides and their impacts on bees: a systematic review of research approaches and identification of knowledge gaps »,  PLOS ONE, 27/8/2015. URL : https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371%2Fjournal.pone.0136928&utm
 — (Revue systématique évaluant méthodologies et lacunes dans la littérature sur néonicotinoïdes et abeilles.)

BOTIAS Cristina et al. (2015). « Neonicotinoid residues in wildflowers, a potential route of chronic exposure for bees », Environmental Science & Technology . 2015, Vol 49, Issue 21.URL : https://pubs.acs.org/doi/10.1021/acs.est.5b03459?utm (Résumé :  Montre la présence persistante de résidus néonicotinoïdes dans les fleurs sauvages, voie d’exposition chronique pour les pollinisateurs.)

RUNDLÖF M. et al. (2015), « Seed coating with a neonicotinoid insecticide negatively affects wild bees », Nature, 7/5/2015, Vol.521, Issue 7550, p.77-80.  URL : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25901681/   (Résumé :  Expérience de terrain montrant des effets négatifs de traitements de semences néonicotinoïdes sur abeilles sauvages

WOODCOCK Ben A. et al. (2016). « Impacts of neonicotinoid use on long-term population changes in wild bees in England », Nature Communications 16/8/2016. URL : https://www.nature.com/articles/ncomms12459?utm (Résumé : Analyse temporelle (sur 18 ans) reliant l’usage de néonicotinoïdes à des extinctions locales accrues chez certaines espèces de abeilles sauvages).

TSVETKOV  N. et al. (2017), « Chronic exposure to neonicotinoids reduces honey bee health near corn crops »,  Science 30/6/2017, Vol 356, Issue 6345, p. 1395-1397 URL :https://www.science.org/doi/10.1126/science.aam7470?utm  (Résumé : Mesures de terrain et analyses montrant que l’exposition chronique via pollen réduit survie, immunité et santé des colonies d’abeilles mellifères.)

SHI Jingliang. et al. (2019). « Effects of sublethal acetamiprid doses on the lifespan and memory of honey bees (Apis mellifera) »,  Apidologie (Springer) 4/7/2019,  Vol.50, p.553–563.  URL : https://link.springer.com/article/10.1007/s13592-019-00669-w?utm  (Résumé : Étude expérimentale sur l’acétamipride, montrant ses effets sur durée de vie, apprentissage/mémoire et comportement olfactif à doses sublétales).

CAPALA Nuno et al. (2022), « Exposure and risk assessment of acetamiprid in honey bee (Apis mellifera) colonies », Science of the Total Environment, 20/9/2022, p.840 . URL : https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC9247745/?utm  — (Résumé : Analyse d’exposition et d’évaluation du risque spécifique à l’acétamipride ; discussion des niveaux « field-realistic » et des incertitudes.

ZUŠČÍKOVÁ Lucia, BAŽÁNY Denis, GREIFOVÁ Hana, KNÍŽATOVÁ Nikola, (2023) « Screening of Toxic Effects of Neonicotinoid Insecticides with a Focus on Acetamiprid: A Review », Toxics, 8/7/2023, vol. 11, no 7 . URL : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/37505564/  (Résumé : revue des effets toxiques des néonicotinoïdes)